I

Mystiques des grandes Traditions

-575 Job à 800





Présentation générale : une Histoire des 'mystiques'

Pourquoi?

"Après que l'expérience m'eut enseigné que tout ce qui se présente fréquemment dans la vie ordinaire est vain et futile, voyant que tout ce qui me faisait peur et tout ce pour quoi j'avais peur n'avait en soi rien de bon ni de mauvais, sinon en tant que l'âme en était agitée, je résolus enfin de rechercher s'il y aurait quelque chose qui fût un vrai bien, et qui pût se partager, et qui, une fois rejeté tout le reste, affectât l'âme tout seul ; bien plus, s'il y aurait quelque chose qui fût tel que, une fois cela découvert et acquis, je jouisse d'une joie continuelle et suprême pour l'éternité. [...]

"Je retournais donc la question de savoir si d'aventure il ne serait pas possible de parvenir à un nouveau genre de vie, ou du moins à une certitude à son sujet, sans pour autant changer l'ordre et le genre ordinaire de ma vie, chose que je tentai souvent en vain. Car ce qui se présente la plupart du temps dans la vie, et qui a en inférer de leurs oeuvres, est estimé parmi les hommes comme le bien suprême, se ramène aux trois choses que voici : les richesses, l'honneur et la lubricité [libido]. Ces trois choses tiraillent tellement l'esprit qu'il a le plus grand mal à penser à quelque autre bien. [...]

"Mais après que j'eus couvé cette chose quelque temps, je découvris, d'abord, que si, renonçant à ces choses, je m'attelais à un nouveau genre de vie, je renoncerais à un bien incertain de par sa nature, comme nous pouvons clairement l'inférer de ce qui précède, au profit d'un incertain, mais celui-ci non point de par sa nature, certes (je cherchais en effet un bien assuré), mais seulement quant à son obtention. Et par une méditation assidue j'en vins à voir qu'alors, pourvu que je pusse être profondément résolu, je renoncerais à des maux certains au profit d'un bien certain. Je me voyais en effet exposé au péril suprême, et contraint de chercher de toutes mes forces un remède, fût-il incertain, tout comme un malade souffrant d'une maladie mortelle, qui, lorsqu'il prévoit une mort certaine si l'on n'y applique un remède, est contraint de le rechercher de toutes ses forces, fût-il incertain, vu que toute son espérance réside en lui ...1

Après le désespoir, l'aide vint par rencontre d'autrui. S'ouvrit un sentier intérieur.

Une approche de témoignages des autres.

Je propose une approche d'autrui, témoignages « mystiques » provenant de cultures diverses dans le temps et dans l’espace. Elle souligne l’universalité d’une vie intérieure commune proposée à tous lorsqu’ils accèdent à leur source commune. Un 'océan de textes' est accessible de nos jours grâce au réseau de communication mondiale devenu l'outil d’une noosphère. Il suggère une même intelligence de vécus divers.

Un accord large entre spécialistes quant aux figures mystiques propres à diverses traditions témoigne de l’unicité du fond (alors qu'ils diffèrent quant aux interprétations). Les variations d’origines culturelles et religieuses ne voilent pas le vécu mystique pour ceux qui y ont été rendus sensibles une fois. Et l’unité sous-jacente n’enlève rien à chaque Tradition. Elle les conforte, alors même que les structures soulignent des différences pour tenter de maintenir des frontières évanescentes.

Un inventaire est présenté de manière originale ici pour la première fois, d’une façon qui peut apparaître provocatrice par sa diversité : de longues 'pages' déroulées chronologiquement de figures au sein de diverses cultures. Le lecteur fera son choix dans ce florilège mystique étendu. Il choisira et appréciera des textes issus ou rapportés au moins pour quelques-uns.

Il est inutile de présenter les figures en détail puisqu’il suffit de consulter une encyclopédie par noms telle que Wikipedia. Nous nous plaçons à l’opposé de dictionnaires avares en citations tandis qu'un beau 'dit' ou qu'un seul extrait d'oeuvre qui parle au cœur suffisent à le justifier.

Ce libre choix des noms constitue le fil d’Ariane nécessaire de nos jours où l'information abonde sans guide. Nous ne retiendrons que des mystiques accomplis, sans s'attacher à des influences sociales.

Ils sont les éléments permettant une Histoire. Elle traverse traditions et cultures d’une unique évolution humaine. J’ai apprécié d'autres synthèses en divers domaines2. Certaines sont conscientes d’une relativité des notions temporelles (la chronologie) et spatiales (les aires de civilisations) au bénéfice de l’unité dans leur sujet propre. Ici l'unité souligne l’intemporalité de l’expérience mystique.

Les liens électroniques et transferts instantanés d'argent renforcent l’écart matériel croissant entre riches et pauvres, entre puissants et faibles, et  des systèmes de pouvoir imperméables à leur critique interne de par leur nature suggestionnaire plutôt que raisonnable3. La résolution pacifique de ces contradictions dépend d’une possibilité d’ouverture égale à tous les rameaux de l'arbre humain. Peut-on le faire sans exacerber les sensibilités ni tenter une « synthèse » qui se placerait indûment au-dessus des témoignages intimes ?

Il existait dans les cultures anciennes des formes littéraires laissant peu de place aux idées directement exprimées. Paraboles ou apologues constituaient des « colliers » aux pierres choisies qui traduisent la sensibilité de l'artisan joaillier. Ils se prêtaient mal à toute généralisation mais sont bien adaptés à l'expression du vécu personnel.

Les perles seront ici des auteurs ou des écrits anonymes. Elles seront enfilées en un collier selon l’ordre chronologique présumé.

Pour les auteurs célèbres, nous pouvons en rester à quelques brèves citations en renvoyant à des éditions accessibles car la lecture et relecture de certaines œuvres entières s’impose (c’est par exemple le cas du corpus réduit qui nous est parvenu de Jean de la Croix).

Pour de nombreux mystiques aux traces écrites difficilement accessibles, nous proposons des extraits courts. J’indique pour chaque auteur des sources personnellement consultées. Leurs extraits sont brefs afin que le « rouleau textuel » ne soit pas désespérément long. J’alterne notice, citation nue, sources en notes permettant approfondissements. Certaines entrées seront amples pour quelques figures mystiquement influentes (Gazali, Ruusbroec, …).

Des chronologies

La mystique est une et intemporelle mais ses expressions humaines dépendent d'un modèle lentement évolutif au cours du déroulement d’une culture. On observe des regroupements par grandes périodes qui voient successivement une culture prédominer par le nombre des entrées chronologiques.

En Occident, des « vagues » culturelles couvrent les Antiquités judéo-gréco-romaines, puis les terres du proche-orient et perses conquises par l’Islam, enfin une europe progressivement défrichée et convertie au christianisme. La situation est moins claire en Asie : foyer antique perse puis indien, réforme bouddhique qui se propagera au Tibet et en Chine. Elle fusionnera avec le Taoïsme puis atteindra tardivement le lointain Japon.

Précisément datée, l’abondance des mystiques en terres d’Islam entre le neuvième siècle et le douzième siècle précède celle en terres chrétiennes du treizième au dix-septième. Cette dernière vague voit se succéder les spirituels des pays flamand et rhénan, de l'Italie, d'Espagne, enfin de France. Nous favoriserons un « Grand siècle » rédigé en notre langue.

L’ordre chronologique rigoureusement suivi - même s’il est parfois délicat à établir 4 - s'impose :

– Il évite les confrontations alors que les présentations habituelles donnent priorité à des structures culturelles et à des traditions religieuses.

– Il tient compte des influences permises au sein d’une culture sur un auteur en situant ce dernier parmi ses pairs, entre des aînés proches et ses cadets. Des filiations par rencontre directes entre figures apparaissent.

– Le lecteur retrouve aisément auteur ou œuvre parce que son époque est connue approximativement, ce qui évite de parcourir trop d’entrées du « grand défilé de l’évolution » culturelle.

– Le lecteur est tenu « réveillé » par des voisinages inattendus. Ainsi l’entrée pour Rûmi (-1273) est suivie de celle pour le Zohar (~1280) compilé par un Moïse de Leon contemporain de la seconde béguine Hadewijch (~1280). De même, plus tard, le très catholique monsieur de Bernières (-1659) est contemporain du fort libre sufi indien Sarmad (-1661).

– Privilégier des auteurs et quelques œuvres détache les trésors mystiques d’une gangue religieuse5. Ma hiérarchie de valeur situant la mystique en premier est clairement exprimée par deux éminents philosophes : al-Ghazali (-1111) puis Bergson (1941) 6

– Enfin une approche hors contrainte autre que la chronologie facilite l’inclusion de figures « exotiques » isolées7.

Choix large

Les couleurs portées par les figures sont variées, ouvrant l’accès à des poètes, à des privilégiés d’instants mystiques ou à des avocats défenseurs.

Il sera facile au lecteur d’orienter son regard comme il lui convient. Les figures retenues sont toujours de « témoins » même s’il ne s’agit parfois que d’un contact ou d'un « instant ». On demeure donc dans le cercle expérimenté directement, évitant de nombreux penseurs au service d’une Cause.

L’importance d’une entrée n’est pas proportionnée à sa taille. On ne peut guère compenser une sous-représentation propre aux littératures commentariales « sans auteur signé » (typiques des traditions de l’Extrême-Orient). Nous tentons d'y pallier par quelques « textes fédérateurs » qui ont inspiré des générations de méditants dont les mystiques (le cas est net dans le cas de la tradition bouddhique dont les sûtras sans auteur connu n’ont souvent survécu que sous forme d’adaptations par des traducteurs aux prises avec une grande diversité de sources et de langues).

On relève une apparente 'absence mystique' propre à l’époque la plus récente. Elle apparaît d’un relevé statistique effectué sur nos entrées. Est-elle due à la disparition d’une langue mystique commune, la cause première de cette absence parmi les chrétiens affirmés ? Relève-t-elle de la non-perception de la nature mystique d’un vécu par son bénéficiaire ? L’« ingénierie » psychologisante de l’âme y contribue-t-elle comme auparavant l’absence d’une affiliation religieuse avait fait disparaître toute trace ? Comment élargir nos œillères8 ?

Au siècle des Lumières se produit une sortie hors cadres traditionnels, un « étoilement » ! Certes le mystique n’a pas besoin d’adhérer à une orthodoxie, mais son œuvre ne survit que très exceptionnellement si elle n’est portée par un corps intermédiaire, par exemple religieux 9. Notre époque connaît de multiples chocs contribuant à cet étoilement : l’irruption des sciences soumet au contrôle expérimental et à la raison ; la rencontre sur un pied d’égalité entre civilisations ; le changement des cadres de représentation écarte toute synthèse collective typique d’un « âge classique ».

L’homme perd des repères, car la rencontre des modèles culturels lentement bâtis autour de croyances ancestrales les relativise. Pourtant le vécu mystique n’enlève rien à chaque Tradition : il la fonde.

Que proposer à la génération montante ? Avant elle beaucoup connaissaient des Écritures sacrées, certains fréquentaient les principaux auteurs mystiques reconnus, tels Jean de la Croix. Les nouveaux chercheurs se confrontent à l’immense richesse d’un réseau sans repères. D’où la nécessité de proposer un choix sous forme d’entrées choisies.

Ouvrons le vécu mystique sans croyance associée ni soutien autre que celui des compagnons de route. Le vécu doit répondre au test d’universalité. L’expérience mystique ne peut dépendre d’avant ou d’après, d’ici ou de là, même si son expression en est colorée. Ce que le carme Honoré de Sainte-Marie avançait dès 1708, relevant siècle après siècle un grand courant des mystiques avant comme après Jésus-Christ 10.

De la Mystique

J’apporte quelque précision en ce qui ne peut être défini qu’en creux, comme un « ni ceci, ni cela ». Le terme « mystique » a été galvaudé : dérivé du grec mustes « initié », il en est arrivé à désigner toutes sortes de phénomènes incompréhensibles, bizarres, voire pathologiques (on parlera de « délire mystique »). On y mêle les transes chamaniques ou les expériences dues aux substances hallucinogènes. On le confond souvent avec le paranormal ou avec le miraculeux, domaine de tout ce qui contredit les lois habituelles de la matière ou du biologique. Rien de tout cela n’a intéressé nos auteurs.

La mystique n’est pas non plus le simple prolongement des expériences humaines les plus hautes comme l’amour, la beauté de la musique ou de la nature, les compréhensions fulgurantes, la ferveur religieuse… Elle n’est pas non plus vécue dans les méditations de « pleine conscience » qui font tant de bien par la paix qu’elles apportent, mais qui appartiennent au développement personnel, corporel et psychologique : il y a là un repos parfait de toutes les facultés, mais c’est en soi que l’on repose, dans sa propre nature.

Le domaine mystique fait partie de ce qu’on appelle le « spirituel », il en est même le cœur. La spiritualité est à la fois plus large et beaucoup plus vague : elle englobe tous les écrits où l’on s’oriente vers « Dieu ». L’intellect, l’imaginaire, le sentiment tournent autour du divin : on est souvent dans une rêverie autour de, une « réflexion sur ». Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un élan, d’une tension vers Dieu, qui prépare l’être à être attentif à l’évènement inouï qui peut se produire.

Face à l’immensité du champ spirituel, nous nous concentrons sur les témoignages d’expérience du divin. Des textes racontent l’irruption dans l’humain d’une dimension verticale, d’une autre nature, que les hommes sont forcés d’appeler « divine », car elle ne peut être fabriquée par les facultés humaines : l’Énergie impersonnelle qui sous-tend l’univers se manifeste à l’homme. C’est ce face à face entre l’humain minuscule et « Dieu », qui forme le domaine propre à la mystique : l’homme rencontre sa source et la source de toutes choses. Des hommes et des femmes ont vécu cette irruption du divin en eux depuis l’aube de l’humanité, et cette expérience est universelle. Ils attestent la présence au centre d’eux-mêmes d’une Réalité expérimentée au-delà du corps, du psychologique, de l’intellect ou de l’imaginaire, qui existe au-delà de l’humain, mais qui envahit l’humain.

Cette expérience est ressentie au centre, au « cœur » de l’être : c’est pourquoi elle est souvent appelée « intériorité ». Une fois vécue, on ne peut plus la nier, quelles que soient les contraintes extérieures. On ne peut que s’incliner devant elle, la vénérer et l’aimer. Cette Présence comble le vide de la nature humaine. En comparaison, tout ce qui a été vécu avant n’est rien que transitoire, illusoire, préoccupation d’enfants ou de fous : le capucin Benoît de Canfield parle du Tout de Dieu et du rien de la créature. Pour Pascal, cette expérience est si importante qu’il la transcrit sur un papier qu’il garde toujours sur sa poitrine : « Joie, pleurs de joie ».

Les manifestations du début sont diverses, mais universelles : vibration du cœur, coulées d’amour, de béatitude, de silence, de paix, qui envahissent la personne et l’émerveillent. Le mystique les recherche, les attend, les favorise ; il les pleure lors de sécheresses, de « nuits », lorsque la Présence semble disparaître. Même si elle est recherchée volontairement, cette Présence se manifeste librement : c’est pourquoi bien des textes l’appellent la « grâce ». Si les préparatifs qui veulent faire remonter vers Dieu par l’effort humain sont parfois récompensés, ils sont bien entendu sans commune mesure avec cette liberté : « L’Esprit souffle où il veut », dit l’apôtre Jean (Evangile 3, 8).

Cette présence peut au début recevoir des qualificatifs : paix, amour… Mais certains mystiques sont amenés à prendre conscience que ce ne sont que des effets de cette Présence et désirent davantage. Un double mouvement s’opère : par amour, dans un abandon total, le mystique se donne au divin pour qu’il fasse ce qu’il veut, en réponse le divin l’envahit de plus en plus et nettoie tout ce qui n’est pas lui. Le mystique perd toute projection vers l’objet Dieu. Un grand retournement s’opère où le divin prend la place au cœur de l’homme, où s’opère l’union entre Dieu et l’homme : [l’âme] « ouvre la capacité de tout son esprit pour engloutir cet abîme, mais au contraire s’en trouve être heureusement absorbée et engloutie…11 » Ceci au prix d’un profond dénuement et d’une grande obscurité, car le divin est incompréhensible aux facultés humaines12 : c’est le « Nuage d’inconnaissance », titre d’un profond texte mystique13. La vie humaine parvient là à son accomplissement parfait où le mystique participe au grand courant de la Vie universelle. Saint Paul s’écrie : « Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi14. »

Il ne reste plus que le grand Rien, le grand Vide. Ce vécu s’exprime souvent en termes religieux, mais il n’est pas le produit de la religion : la mystique est première.  Les religions sont les expressions particulières à chaque civilisation d’une expérience universelle : à partir de l’expérience de Jésus, du Buddha, de François d’Assise s’organise une communauté qui espère recréer les conditions où elle peut se manifester (croyances, prières, règles, méditations, ascèse…). L’organisation nécessaire pour le grand nombre fossilise l’élan créateur, naissent les lois et la théologie. « La mystique » en tant que corpus textuel ne fait pas partie du champ intellectuel, n’élabore pas de champ conceptuel ou de problématique : elle tente péniblement d’exprimer l’indicible par des mots.

Florilège

« L’objet » proposé sous forme électronique ou imprimée n’a guère de modèle. L’idée serait-elle neuve15 ? Ses entrées par figures mystiques ou rarement par thèmes sont réparties chronologiquement. Elles sont délivrées en huit tomes (légers16) eux-mêmes se succédant dans la durée:

1. "Traditions" vérité, charité-bienveillance, unicité - branches : gréco-judeo-chrétienne - bouddhiste - taoiste ~1400 ans : AC ~575 Job à ~800

2."Dieu en terres d'Islam" grandeur divine - branches : soufis, hommes du blâme ~350 ans : ~800 Râbi'a - 1148

3. "Dieu en terres d'Islam et chrétiennes "grandeur et bonté divine reçue par grâce" branches : soufis puis chrétiens du nord ~240 ans : 1148 Guillaume de St-Thierry - 1381 Ruusbroec

4. "Dieu" en terres d'Islam et chrétiennes" bonté divine reçue par "grâce" - branches : soufis puis chrétiens du nord puis du sud ~210 ans : 1389 Naqshband - 1600 Bruno

5. "Essor et filiation" grâce et communication - branche : chrétiens catholiques français ~40 ans : 1610 Benoît de Canfeld - 1659 Bernières

6. "Âge classique" grâce et communication - branche : chrétiens catholiques français ~40 ans : 1662 Pascal - 1698 Mère Mectilde

7. "Modernes" grâce - branches : chrétiens d'Europe ~180 ans : 1717 Guyon - 1897 Thérèse

8. "Vingtième siècle" grâce - branches : religieux ou non ~100 ans : ~1906 Spiridon - 2002 Molinié







Résumé

/! H Histoire des mystiques.odt > groupés par réseaux avec thèmes >> nom du mystique (ou du titre anonyme) >>> témoignage, brève bio, bibliographie.

Introduction : reconnaîssance commune des auteurs mystiques pour des explications diverses >justifie les noms comme premier facteur sélectif

>chronologie impliquée >>réseaux avec influences des aînés

>universalité observée >> thèmes (vérité, compassion et aide, grâce...)

Avertissement

Je condense souvent des présentations distribuées dans mes nombreuses publications d’« auteurs mystiques ». Les entrées s’avèrent inégales selon divers critères : certaines ne couvrent qu’une demi-page, en moyenne trois pages, très rarement dix; le XVIIe siècle français est surdimensionné ce qui est partiellement justifié selon Bremond et Cognet et selon quelques protestants. J’ai équilibré par un choix très ouvert des entrées mais les traditions non chrétiennes sont peu présentes, sauf pour des mystiques ayant vécu en terres d’Islam. Certaines entrées sont collectives : par regroupement d’époque (mystiques des premiers siècles de l’Hégire…) et de sujet (« témoignages de l’extrême ».

Un extrait ne respecte pas toujours l’intégrale de la phrase qui l’ouvre ou le ferme. L’indice du crime est signalé à l’ouverture par une première lettre minuscule. Pour alléger la lecture, les points de suspension sont généralement omis en début et en fin d’extrait, donnés sans crochets en son sein, séparés des mots. Pagination en tête d’extrait, référence en fin.


Présentation aux contenus du premier tome

Après une dizaine de milliers d'années de fixation sur les sols par cultures et élevages, puis deux milliers de naissance des états et de fixation écrite par leurs gestionnaires, naîssent en quelques siècles trois traditions : grecque µ

Quatre grandes influences déterminèrent l’expression d’une mystique qui prend un nouvel élan en Europe à partir du XIIe siècle : le legs religieux d’Israël et l’influence qui perdure de sa diaspora, le legs antique des civilisations grecque et romaine, auquel succède au bas Moyen Âge l’apport de moines vivant au sein de l’empire byzantin, enfin le contact avec les civilisations avancées de pays islamisés. Ces facteurs contribuent chacun par leur couleur particulière à l’expression d’une expérience universelle issue d’une même Source.

Mystiques grecs et judéo-chrétiens vérité-charité

Mystiques bouddhistes bienveillance

Mystiques taoïstes unicité

Moines du désert et leurs Apophtegmes

En Orient, le christianisme, devenu religion d’état à Constantinople, s’illustre par les très nombreux moines, depuis les Pères du désert du IIIe siècle jusqu’à ceux du début du XVe siècle. Le premier d’entre eux en importance, sinon en date, est le rénovateur de la connaissance de Dieu : Syméon le Nouveau Théologien (949 - 1022). Son lointain prédécesseur Jean Climaque (~575 ~650) est influent à toutes les époques par son Échelle sainte, appréciée en Espagne au XVIe siècle, puis en France dès le début du XVIIe siècle. Ces deux figures, le mystique Syméon et le médecin des âmes Climaque, illustrent deux modes d’expression du vécu anachorète, plus lyrique chez le premier, plus analytique chez le second, partagés par une myriade d’auteurs orientaux. Une immense littérature traduit l’expérience marquée par l’ascèse. Elle est consignée de façon anonyme dans des Apophtegmes 17 et dans des Centuries, qui inspirèrent Cassien (- ~435) et tout le monachisme d’Occident 18. Enfin on n’oubliera pas le grand mystique Jean de Dalyatha (VIIe siècle) d’une église nestorienne aujourd’hui disparue.

Jean Climaque (~575 ~650) et la Philocalie

Jean Climaque vécut près du Mont Sinaï pendant quarante ans dans une grotte, au milieu d’une colonie d’anachorètes, mais fit cependant au moins un voyage en Égypte, pour être finalement élu higoumène du monastère de la sainte Montagne. Il aurait composé son Échelle sainte, suivie d’une intéressante Lettre au Pasteur (ou directeur d’âme), à un âge avancé. Les trente degrés de cette « échelle du Paradis » font parcourir des étapes : rupture avec le monde, acquisition des vertus fondamentales, lutte contre les passions, couronnement de la « vie pratique » (simplicité, humilité, discernement), union à Dieu19. Son influence s’exerça par l’intermédiaire de très nombreux manuscrits. Ainsi, découvert par Syméon le Nouveau Théologien (949-1022) dans la bibliothèque de son père, l’ouvrage fut aussi le principal inspirateur du grand spirituel russe Nil Sorskij (1433-1508), qui ramena une « bibliothèque » grecque d’auteurs spirituels en Russie. En Occident, l’Échelle figure dans les bibliothèques des franciscains, des chartreux, etc. Elle est traduite en Espagne dès 1504, en France par Gaultier dès 1603, puis à Port-Royal (nombreuses éditions à partir de 1652).

Elle propose une progression à l’usage des ascètes du désert en recherche de Dieu, comme le souligne son traducteur moderne : « Jean est un moine qui a fait l’expérience à la fois du terme de la vie spirituelle : la déification de l’homme par la lumière incréée, et de la voie qui y achemine. C’est cette voie qu’il nous trace, d’une manière essentiellement pratique. L’unique moyen d’en acquérir une intelligence véritable est de s’y engager soi-même [… comme] disciple qui, ayant fait une fois pour toutes le choix décisif, se met à l’écoute d’un maître, laisse parler son œuvre, ou plutôt s’efforce de percevoir ce que Dieu lui dit à travers elle au secret de son cœur, et s’applique à en suivre les directives avec la même attention et le même sérieux que le mode d’emploi d’un instrument précis et complexe. » 20.

Jean met en garde contre une interprétation trop littérale de ce qui fut écrit pour des hommes menant une vie rude :

L’ascèse corporelle, l’obéissance et l’amour des humiliations n’ont d’autre fonction que de nous préparer à cette illumination de la lumière divine en nous faisant signifier et réaliser, sous la motion de la grâce, la mort de notre individualité opaque, de notre volonté propre, unique obstacle à notre communion personnelle avec Dieu.21.

Ce texte assez bref n’est cependant pas sec : il reprend des histoires très vivantes, telle celle de la confession devant tous les frères d’un auteur de beaucoup de « choses qu’il ne convient ni d’entendre, ni d’écrire ... pour délivrer le pénitent lui-même de la honte future par la honte présente »22. On apprécie la justesse de ses observations :

Il me semble que nous devrions nous taire dans toutes les occasions d’humiliation qui nous sont offertes, car c’est l’heure du gain. Mais dans les circonstances où un tiers est en cause, nous devons rétablir la vérité, pour garder indissoluble le lien de l’amour et de la paix.23.

Il aborde sans détour tous les problèmes qui se posent dans une société d’hommes jeunes et fait ailleurs appel aux images issues de l’expérience humaine, car :

Il n’y a rien d’inconvenant à emprunter aux choses humaines des images pour représenter le désir, la crainte, l’ardeur, la jalousie, le service et l’amour passionné de Dieu. Bienheureux celui qui a obtenu un désir de Dieu semblable à celui d’un amant passionné pour celle qu’il aime.24.

Car la réorientation des tendances humaines est préférable à leur rejet :

J’ai vu des âmes, qui se livraient avec fureur à l’amour charnel ... C’est pourquoi le Seigneur, parlant de cette chaste pécheresse, ne dit pas qu’elle a craint, mais qu’elle a beaucoup aimé, et qu’elle a pu facilement chasser l’amour par l’amour.25.

L’optimisme est finalement toujours présent, car « l’homme de foi n’est pas celui-ci qui croit que Dieu peut tout, mais celui-ci qui croit pouvoir tout obtenir 26. » En effet « rien n’égale ni ne surpasse la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi celui qui désespère est son propre meurtrier 27. » La foi est confirmée dans la contemplation : « La certitude intime que toutes nos demandes sont exaucées nous est donnée clairement dans la prière. » 28.

Inspiré par les auteurs de Centuries, le livre abonde en brèves définitions, qui réorientent vers Dieu : « Le discernement est et se définit : la perception certaine de la volonté de Dieu en toute occasion, en tout lieu et en toute circonstance » 29. Les définitions remontent souvent des manifestations qu’elles évoquent immédiatement à leurs causes : « La charité est avant tout le rejet de toute pensée d’inimitié » 30.

L’ascèse, omniprésente dans le monde particulier du désert où l’auteur vécut, est une garde du cœur ; il en modère l’exercice par l’importance donnée à la sincérité et la transpose en sobriété dans l’exercice de la prière :

N’attend pas de visite [spirituelle] et ne t’y prépare pas à l’avance, car l’hésychia est un état de parfaite simplicité et liberté.31.

Durant la prière, n’admets aucune imagination sensible, de peur de tomber dans l’égarement.32.

Enfin il rend témoignage sans ambiguïté à l’efficace d’une prière orientée envers autrui :

Celui qui s’est vraiment rendu Dieu propice peut soulager ceux qui souffrent sans qu’ils le sentent et en secret ; il en résulte deux grands biens : il se préserve de la gloire humaine comme de la rouille, et il induit ceux qui ont été l’objet de sa miséricorde à ne rendre grâce qu’à Dieu seul.33.

Jean Climaque est une figure que nous venons de mettre en valeur parmi beaucoup d’autres spirituellement comparables, auteurs de Philocalies : le mot grec signifie « amour de la beauté » et il est repris par les orthodoxes pour désigner une anthologie de textes mystiques, dont la dernière et la plus célèbre, publiée à Venise en 1782, exerce aujourd’hui encore une forte influence 34. De trente-sept auteurs représentés se détachent les cinq figures de Maxime le confesseur, Syméon le Nouveau Théologien et Nicétas Stéthatos, Grégoire le Sinaïte et Grégoire Palamas : leurs écrits occupent plus du tiers de l’ensemble qui constitue une encyclopédie portant sur l’ascèse pratique mise au service d’une vie orientée vers la contemplation de la lumière divine.

Jean de Dalyatha (~690 ~780)

Originaire d’un village du nord de l’Iraq, au pied des montagnes du Kurdistan, Jean entra dans un monastère du sud de la Turquie actuelle puis s’établit dans la solitude au sein des montagnes de Dalyatha avant que des moines ne se groupent autour de lui. Il est le grand ermite nestorien, condamné puis réhabilité par son Église, dont les homélies et les lettres, joyaux de la mystique syriaque, révèle une vie mystique conçue comme une « résurrection anticipée » fondée directement sur l’expérience. Il a été redécouvert par un carme missionnaire enseignant en 1956 au Séminaire Chaldéen de Bagdad. Celui-ci le situe « au niveau d’un Jean de la Croix » et nous partageons son éblouissement 35 :

Il n’y a pour moi en dehors de lui [le Créateur] ni stabilité, ni mouvement, ni vie, ni perception. Et lorsque je suis absorbé par l’émerveillement, je les vois [la Trinité] (comme) une lampe unique, et comme celle-ci je resplendis. Aussi je m’émerveille de moi-même et me réjouis spirituellement : en moi se trouve la Source de la Vie, cette Source qui est la fin du monde incorporel. Il n’est possible à aucun sage de fournir à ceci une explication : gloire à Celui qui rend sage les siens par ce qui est sien et révèle sa beauté pour la délectation de ceux qui l’aiment !




Chronologie de Job à 800


























0000 Pygmées

Complainte mortuaire à deux voix


L’animal court, il passe, il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

L’oiseau vole, il passe, il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

Le poisson fuit, il passe, il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

L’homme mange et dort. Il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

Et le ciel s’est éclairé, les yeux se sont éteints, l’étoile resplendit.

Le froid est en bas, la lumière en haut.

L’homme a passé, l’ombre a disparu, le prisonnier est libre.

Khmvum ! Vers toi notre appel ! 36.


AC ~1350 Hymne d’Akhnaton.

Égypte 



Tu rayonnes de beauté à l’horizon du ciel,

ô vivant soleil qui vécus le premier !

Tu te lèves, oriental,

et tu remplis chaque pays de ta beauté.

Tu es beau, tu es grand,

tu étincelles et tu es au-dessus de toute contrée.

Tes rayons embrasent les terres

et tout ce que tu créas.

Tu es Râ, tu atteins leur extrémité,

tu les enchaînes de ton amour pour ton fils.


Tu es au loin, tes rayons sont sur terre.

On te voit sans pourtant connaître ta marche.


Quand tu te couches à l’horizon occidental,

la terre est obscure, comme morte.

Ils dorment dans leur chambre, la tête enveloppée,

aucun œil ne voit l’autre.

Si l’on dérobait ce qu’ils ont sous leur tête,

ils ne le remarqueraient pas...

Chaque lion sort de sa tanière

et tous les reptiles mordent.

La terre est dans le silence

celui qui l’a créée repose dans son horizon.


Quand il fait jour, quand tu te lèves à l’horizon,

alors que tu brilles, Soleil, le jour durant,

tu fais présent de tes rayons.

Les deux pays en sont joyeux.

Les hommes s’éveillent et restent dressés,

car tu leur fais quitter leur couche.

Ils lavent leur corps et prennent des vêtements.

Leurs mains se lèvent, adorantes,

car tu resplendis ;

le pays tout entier se livre à son labeur.



Tu es le donateur de souffle aux créatures, et pour les animer,

Quand l’enfant sort du sein au jour de sa naissance,

tu ouvres sa bouche à la parole

et tu pourvois à ses besoins.


Le poussin de l’œuf piaule déjà dans la coquille

et là, tu lui donnes le souffle afin qu’il reste en vie.

Quand tu lui as donné force pour la briser,

il sort, il court alors qu’il est éclos.


Comme multiples sont tes œuvres !

O Toi, seul Dieu, à ton côté point n’en existe d’autre !

Tu as créé la terre selon ton désir,

toi seul, avec ses hommes, ses troupeaux !


Dans les territoires étrangers, la Syrie et la Nubie, et le pays d’Égypte,

tu établis chacun à sa place et fais le nécessaire,

chacun a sa nourriture, ses jours sont calculés.

Leur langue parlent diversement

comme est divers leur aspect.

Leur peau est différente,

car tu as distingué les peuples.


Tu créas le Nil dans les mondes inférieurs,

tu le fais surgir pour maintenir en vie les hommes,

toi, leur maître à tous !


Tu es leur maître à tous, qui peine pour eux,

le seigneur de tous les pays

le soleil puissant du jour.


Tous les pays éloignés, tu prends soin d’eux.

Tu as placé un Nil dans le ciel afin qu’il descendît vers eux,

et battît les monts de ses flots, à l’égal d’une mer,

et abreuvât leurs champs.

Que tes desseins sont excellents, ô seigneur de l’éternité !

Le Nil du ciel, tu le donnes

aux peuples étrangers, aux animaux de chaque désert.

Et le Nil, qui jaillit  du monde inférieur,

tu le donnes à l’Égypte.


….

Tu es seul et tu te lèves sous ton aspect de soleil vivant,

lorsque tu apparais et que tu luis,

que tu t’éloignes et que tu reviens.


Tu crées des millions d’êtres de toi seul.

Cités, villages et prairies, chemins et fleuves,

tous les yeux te voient

lorsque tu es le soleil du jour au-dessus de la terre...


Tu es dans mon cœur

et nul ne te connaît que ton fils, le Roi.

Tu l’as initié à tes desseins et à ta force.

Ce qui arrive dans le monde,

c’est sur ton signe : c’est toi qui l’as créé.

T’es-tu levé : ils vivent.

Te couches-tu : ils sont morts.

Toi-même es la durée de vie,

et tu donnes la vie.


Les yeux contemplent ta beauté jusqu’au soir

et tout travail cesse

quand tu te couches à droite.


Lorsque tu te lèves, tu fais croître,

pour ton fils sorti de tes membres,

pour son épouse bien-aimée,

la reine en vie heureuse pour jamais! 37.

L’Écriture

L’Écriture est le nom juif de l’Ancien Testament repris dans l’actuelle traduction œcuménique chrétienne ou TOB. Elle contient les dits de prophètes qui ont rencontré l’Absolu et qui furent pour certains d’entre eux mystiques, comme le « second Isaïe ». Le prophétisme est l’expression de la vie intérieure à une époque où la personne humaine, qui ne disposait d’aucun moyen d’écrire dans l’intimité, et demeurait par ailleurs étroitement dépendante de son milieu clanique, ne pouvait que difficilement laisser trace de sa conscience intérieure autonome. Ce modèle précède celui de la sainteté individuelle manifestée sous la forme héroïque de moines du désert, inspirés peut-être par la communauté juive des Thérapeutes, en tout cas par des précédents égyptiens 38. Puis ceux-ci inspirèrent (partiellement) le « dernier des prophètes » Mohammed, respectueux de ses prédécesseurs. Le prophétisme sera encore au XVIIIe siècle repris par des réformés protestants qui s’inspiraient étroitement de l’Écriture pour remplacer la médiation cléricale. Ce qui posa problème : ainsi une madame Guyon fut défavorable aux annonces prophétiques de jeunes exilés camisards faites en Ecosse. De même le réformateur méthodiste Wesley fera face à des enthousiastes.

AC ~ 575 Livre de Job

L’Écriture


30,16… En moi s’écoule ma vie et m’ont saisi des jours d’ennui.

17 Mes os sont perforés la nuit... et mon pouls ne s’en­dort jamais.

8 De toutes ses forces, il a saisi mon habit et comme le col de ma tunique il m’a étranglé.

19 Il m’a jeté dans la boue et j’ai paru poudre et gadoue.

20 Je crie vers Toi et tu ne réponds pas ; je suis debout et tu ne me remarques pas !

21 Tu es devenu cruel pour moi, la dureté de ta main s’acharne sur moi !

22 Tu m’arraches dans le vent comme un cavalier, dans la tempête tu me fais virevolter !

23 Je sais que tu m’emmènes à la mort, à la maison du rassemblement de tout vivant.

[…]

38,1 Iahvé répondit à Job du sein de la tempête et lui dit :

2 Quel est cet individu qui noircit la Providence avec des paroles insensées ?

3 Ceins tes reins comme un preux, je t’interrogerai et tu me renseigneras.

4 Où étais-tu quand je fondai la terre ? Dis-le, si ta science est si profonde ?

5 Qui en a fixé la masse ? Puisque tu le sais ! Qui tendit sur elle le cordeau ?

6 Sur quoi s’enfoncèrent ses socles ou qui a posé sa pierre angulaire,

7 Lors du chant harmonieux des étoiles du matin et de l’acclamation de tous les fils d’El ?

8 Qui a enfermé la Mer à deux battants, quand elle jaillissait sortant du sein,

9 Quand je fis d’une nuée son vêtement et des nuages ses langes,

10 Quand je  lui traçai sa limite et plaçai verrou et bat­tants,

11 Et lui dis : « Tu iras jusque-là,  ... ici se brisera l’orgueil de tes flots » ?

12 As-tu un jour commandé au matin, désigné sa place à Aurore,

13 Pour qu’elle saisisse la terre par les bords  ... et qu’elle la transforme comme de l’argile scellée ?

16 Es-tu parvenu jusqu’aux sources de la Mer, as-tu circulé au fond de l’Océan ?

17 Les Portes de la Mort te furent-elles montrées, as-tu vu les portes de l’Ombre ? … 39.


Israël et l'Écriture

Israël exerce son influence par son Écriture ou Ancien Testament, et aussi à travers les Évangiles et les Épîtres du Nouveau Testament, rédigés entre ~50  et ~120. Des « païens au seuil » de la diaspora sont attirés par le message judaïque. Leur adhésion est facilitée au sein de la nouvelle secte juive lorsque Paul estime caduques des pratiques contraignantes. S’ensuivent disputes, opposition entre les deux camps qui se définissent au second siècle, enfin séparation. Deux religions – celle traditionnelle d’un peuple élu et la nouvelle à l’ambition universelle - ne peuvent partager un Messie dont ils n’attendent d’ailleurs pas le salut sous une forme commune. De nombreux convertis cherchent une confirmation de leur foi en Jésus-Christ dans l’adhésion improbable d’une Synagogue qui possède l’Écriture. Lorsque, de minorité combattue les chrétiens deviennent majoritaires à la fin du quatrième siècle, ils persécutent les juifs perçus comme « négationnistes » de la nouvelle religion d’État. Pourtant, beaucoup plus tard, après l’an mille, les marranes contribuent à la renaissance de la mystique chrétienne en Espagne ; enfin, à la Renaissance, l’influence de la mystique juive s’exerce directement en Italie dans le milieu des kabbalistes chrétiens. 

L’Écriture est le nom juif de l’Ancien Testament repris dans l’actuelle traduction œcuménique chrétienne ou TOB. Elle contient les dits de prophètes qui ont rencontré l’Absolu et qui furent pour certains d’entre eux mystiques, comme le « second Isaïe ». Le prophétisme est l’expression de la vie intérieure à une époque où la personne humaine, qui ne disposait d’aucun moyen d’écrire dans l’intimité, et demeurait par ailleurs étroitement dépendante de son milieu clanique, ne pouvait que difficilement laisser trace de sa conscience intérieure autonome. Ce modèle précède celui de la sainteté individuelle manifestée sous la forme héroïque de moines du désert, inspirés peut-être par la communauté juive des Thérapeutes, en tout cas par des précédents égyptiens 40. Puis ceux-ci inspirèrent (partiellement) le « dernier des prophètes » Mohammed, respectueux de ses prédécesseurs. Le prophétisme sera encore au XVIIIe siècle repris par des réformés protestants qui s’inspiraient étroitement de l’Écriture pour remplacer la médiation cléricale. Ce qui posa problème : ainsi une madame Guyon fut défavorable aux annonces prophétiques de jeunes exilés camisards faites en Ecosse. De même le réformateur méthodiste Wesley fera face à des enthousiastes.

AC ~ 540 Isaïe

Le livre d’Isaïe est une bibliothèque prophétique couvrant plus de deux siècles. Le premier Isaïe est un personnage extraordinaire qui a prophétisé à un âge relativement jeune, vers -740, et son activité s’est étendue sur une période d’au moins quarante ans : il s’oppose aux injustices et annonce la colère divine. Le second Isaïe se situe deux siècles plus tard, vers -540, au milieu de ses frères exilés. Il est suivi d’un troisième Isaïe qui aurait exercé son ministère à Jérusalem dans les deux premières décennies qui suivirent le retour d’exil. Les versets 53, 3-5,7 constituent le sommet du second Isaïe. Ils sont ainsi traduits 41.



 « Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui et dans ses plaies se trouvait notre guérison.... Brutalisé, il subit ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir... »

Le thème du serviteur souffrant, juste qui plaide pour son peuple, a aidé les chrétiens à comprendre la figure de Jésus et à se comprendre eux-mêmes, placés face à des promesses de renouveau qui ne se réalisaient pas concrètement.


AC ~ 500 Parménide

Grèce.


LA NUIT DE PARMÉNIDE

Il ne fut point jadis, il ne sera point, puisqu’il est, maintenant, tout entier à la fois

Un, continu. Quelle naissance, en effet, lui chercherais-tu ?

Par où, de quoi évolué ? Pas non plus de non-existant : je ne te laisserai

Ni le dire ni le penser. Car on ne peut ni dire ni penser       

Qu’il ne soit pas. Quelle nécessité, d’ailleurs, l’eût fait surgir

Plus tard de préférence à plus tôt, prendre son essor de rien et pousser ?

Ainsi ne peut-il être qu’absolument ou pas du tout.

Jamais, d’ailleurs, une foi vigoureuse n’acceptera que, de ce qui n’est point,

Quelque chose d’autre puisse naître ; aussi, ni de naître,

Ni de périr, la justice ne lui fit licence, relâchant ses liens.

 

Au contraire, elle les maintient. La décision, là-dessus, est en ceci :

Il est, ou il n’est pas. Or on a décidé, comme cela s’imposait,

De laisser une des routes impensée, innommée ; car elle n’est pas la vraie,

Cette route ; et de garder l’autre comme existante et réelle.

Comment, dans la suite du temps, pourrait venir à exister l’être ?

Comment, une fois, y être venu ?

Car s’il devint, il n’est pas, et, pas plus, si un jour doit venir où il sera.

Ainsi s’éteint la genèse ; ainsi disparaît la mort.

 

Il n’est point, non plus, divisible, puisqu’il est tout entier homogène.

Car il n’y a point, ici, un plus qui romprait sa continuité,

Ni, là, un moins : mais tout est plein d’être.

Ainsi tout est continu : être se presse contre être...

 

D’autre part, immobile dans les limites de grands liens,

Il est sans commencement et sans fin, puisque genèse et mort

Ont été dispersées bien loin, repoussées par la vraie foi.

Même dans le même demeurant, en soi-même il repose,

Et, de cette sorte, immuable, au même endroit demeure ; car la puissante Nécessité

Le maintient dans les liens de la limite, qui enserre tout son contour.

Aussi, d’être inachevé, l’être n’a point licence ;

Car il ne lui manque rien : autrement, il lui manquerait tout.42.


AC 399 Socrate (AC 470 — AC 399) & Platon (AC 427 — AC 348/7)

Socrate eut pour disciple Platon qui eut pour élève Aristote.

« La seule science que revendique Socrate, c’est de savoir qu’il ne sait rien… il amène à regarder en soi-même…43 »


AC ~350? Mundaka Upanishad

La vingtaine de textes connus sous le nom d’Upanisads sont constitués entre AC~600 et AC~200.

Voici un texte court et relativement récent visant à la reconnaissance de l’Un :

II.1.1. Voilà la vérité. De même qu’un feu flambant, jaillissent par milliers des étincelles de même nature, de même, mon cher, de l’Impérissable naissent les êtres divers, et c’est en Lui aussi qu’ils retournent.

III.2.8. Comme les rivières qui coulent disparaissent dans l’océan, perdant nom et forme, de même celui qui sait, affranchi du nom et de la forme, accède à l’Être divin, plus haut que ce qu’il y a de haut.

« Aux multiples connexions qui, dans les Brâhmana, unissaient les diverses parties de la personne à celles du cosmos par l’intermédiaire des rites » succèdent « l’intuition de l’identité entre le brâhman et l’âtman, le Soi… intuition intemporelle et mystique. » 44.


AC ~300 Lao Tseu/Laozi

Le saint n’accumule pas

Plus il fait pour les autres

Plus il a pour lui-même

Plus il donne aux autres

Plus il s’enrichit.45.


AC ~250 Hymne à Zeus

Stoïciens.

O toi qui es le plus glorieux des immortels, qui as des noms multiples, tout-puissant à jamais,

Principe et Maître de la Nature, qui gouverne tout conformément à la loi,

Je te salue, car c’est un droit pour tous les mortels de s’adresser à toi,

Puisqu’ils sont nés de toi, ceux qui participent à cette image des choses qu’est le son,

(5) Seuls parmi ceux qui vivent et se meuvent, mortels, sur cette terre.

Aussi je te chanterai et célébrerai ta puissance à jamais.

C’est à toi que tout cet univers, qui tourne autour de la terre,

Obéit où que tu le mènes, et de bon gré il se soumet à ta puissance,

Tant est redoutable l’auxiliaire que tu tiens en tes mains invincibles,

(10) Le foudre à double dard, fait de feu, vivant à jamais ;

Sous son choc frémit la Nature entière.

C’est par lui que tu diriges avec rectitude la raison com­mune, qui pénètre toutes choses

Et qui se mêle aux lumières célestes, grandes et petites...

C’est par lui que tu es devenu ce que tu es, Roi suprême de l’univers.

(15) Et aucune œuvre ne s’accomplit sans toi, ô Divinité, ni sur terre,

Ni dans la région éthérée de la voûte divine, ni sur mer,

Sauf ce qu’accomplissent les méchants dans leurs folies.

Mais toi, tu sais réduire ce qui est sans mesure,

Ordonner le désordre ; en toi 1a discorde est concorde.

(20) Ainsi tu as ajusté en un tout harmonieux les biens et les maux

Pour que soit une la raison de toutes choses, qui demeure à jamais

Cette raison que fuient et négligent ceux d’entre les mortels qui sont les méchants ;

Malheureux, qui désirent toujours l’acquisition des biens

Et ne discernent pas la loi commune des dieux, ni ne l’entendent,

(25) Cette loi qui, s’ils la suivaient intelligemment, les ferait vivre d’une noble vie.

Mais eux, dans leur folie, s’élancent chacun vers un autre mal :

Les uns, c’est pour la gloire qu’ils ont un zèle querelleur,

Les autres se tournent vers le gain sans la moindre élégance,

Les autres, vers le relâchement et les voluptés corporelles ;

(30)... ils se laissent poster d’un objet à l’autre

Et se donnent bien du mal pour atteindre des résultats opposés à leur but.

Mais toi, Zeus, de qui viennent tous les biens, dieu des noirs nuages et du foudre éclatant,

Sauve les hommes de la malfaisante ignorance,

Dissipe-la, ô Père, loin de notre âme ; laisse-nous participer

(35) A cette sagesse sur laquelle tu te fondes pour gouverner toutes choses avec justice,

Afin qu’honorés par toi, nous puissions t’honorer en retour

En chantant continuellement tes œuvres, comme il sied

À des mortels ; car il n’est point, pour des hommes ou des dieux,

De plus haut privilège que de chanter à jamais,

comme il se doit, la loi universelle.46.


AC ~ 250 Tchoang-tseu/Zuangzi

Chapitre I.

[A]. S’il faut en croire d’anciennes légendes, dans l’océan septentrional vit un poisson immense, qui peut prendre la forme d’un oiseau. Quand cet oiseau s’enlève, ses ailes s’étendent dans le ciel comme des nuages. Rasant les flots, dans la direction du Sud, il prend son élan sur une longueur de trois mille stades, puis s’élève sur le vent à la hauteur de quatre-vingt-dix mille stades, dans l’espace de six mois.

Ce qu’on voit là-haut, dans l’azur, sont-ce des troupes de chevaux sauvages qui courent ? Est-ce de la matière pulvérulente qui voltige ? Sont-ce les souffles qui donnent naissance aux êtres ? Et l’azur, est-il le Ciel lui-même ? Ou n’est-ce que la couleur du lointain infini, dans lequel le Ciel, l’être personnel des Annales et des Odes, se cache ? Et, de là-haut, voit-on cette terre ? Et sous quel aspect ? Mystères !

Quoi qu’il en soit, s’élevant du vaste océan, et porté par la grande masse de l’air, seuls supports capables de soutenir son immensité, le grand oiseau plane à une altitude prodigieuse.

Uhe cigale à peine éclose, et un tout jeune pi­geon, l’ayant vu, rirent du grand oiseau et dirent : À quoi bon s’élever si haut ? Pourquoi s’exposer ainsi ? Nous qui nous contentons de voler de bran­che en branche, sans sortir de la banlieue ; quand nous tombons par terre, nous ne nous faisons pas de mal ; chaque jour, sans fatigue, nous trouvons notre nécessaire. Pourquoi aller si loin ? Pourquoi monter si haut ? Les soucis n’augmentent-ils pas, en proportion de la distance et de l’élévation ?

Propos de deux petites bêtes, sur un sujet dépassant leur compétence. Un petit esprit ne comprend pas ce qu’un grand  esprit embrasse. Une courte expérience ne s’étend pas aux faits éloignés. Le champignon qui ne dure qu’un matin, ne sait pas ce que c’est qu’une lunaison. L’insecte qui ne vit qu’un été, n’entend rien à la succession des saisons. Ne demandez pas, à des êtres éphémères, des renseignements sur la grande tortue dont la période est de cinq siècles, sur le grand arbre dont le cycle est de huit mille années. […]

[G]. Maître Sang-hou, Mong-tzeu-fan, Maître K'inn-tchang, étaient amis. L’un d’entre eux demanda : qui est parfaitement indifférent à toute influence, à toute action ? Qui peut s’élever dans les cieux par l’abstraction, flâner dans les nuages par la spéculation, se jouer dans l’éther, oublier sa vie présente et la mort à venir ? Les trois hommes se regardèrent et rirent, car tous en étaient là, et ils furent plus amis que devant.

Or l’un des trois, Maître Sang-hou, étant mort, Confucius envoya son disciple Tzeu-koung à la maison mortuaire, pour s’informer s’il ne faudrait pas aider aux funérailles. Quand Tzeu-koung arriva, les deux amis survivants chantaient devant le ca­davre, avec accompagnement de cithare, le refrain suivant : O Sang-hou ! O Sang-hou ! Te voilà uni à la transcendance, tandis que nous sommes encore des hommes, hélas ! Tzeu-koung les ayant abordés, leur demanda : est-il conforme aux rits, de chanter ainsi, en présence d’un cadavre ? Les deux hommes s’entre-regardèrent, éclatèrent de rire, et se dirent : Qu’est-ce que celui-ci peut comprendre à nos rits à nous ? 47.


Le Nouveau Testament

Le Nouveau Testament comporte, outre l’Apocalypse, deux ensembles textuels qui ont sensiblement le même volume : d’une part les quatre Évangiles, d’autre part l’ensemble formé par les Actes des apôtres composés par un disciple de Paul et associé aux Épîtres de ce dernier. Ces Épîtres précédèrent la fixation du texte des Évangiles.

Les mystiques reprendront très souvent des versets de saint Jean, des Épîtres de Paul que l’on peut considérer comme un des leurs. Ainsi du verset qui sera cité très fréquemment :

et je vis, mais non plus moi-même : c’est Jésus-Christ qui vit en moi : et en ce que je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi 48.

Par exemple madame Guyon (1648-1717) en donnera l’explication suivante 49 :

Nous ne sommes plus à nous-mêmes sitôt que nous sommes désappropriés, que nous avons perdu notre propre âme en Dieu. Nous sommes transformés en l’image de Dieu [2 Co 3, 18] c’est-à-dire, transformés en Jésus-Christ, qui est l’image du Père, de sorte, dit-il ailleurs, que je ne vis plus, moi, mais Jésus-Christ vit seul en moi. Je Lui ai cédé par une entière désappropriation la place que je tenais en moi et que j’avais usurpée. Lorsque les mystiques parlent de l’incarnation mystique, c’est la même chose dont parle saint Paul par le terme de formation de Jésus-Christ en nous [Ga 4, 19], qu’il appelle aussi révélation de Jésus-Christ [Ga 1, 16].

Le premier siècle appelle une redéfinition du judaïsme au regard de la domination gréco-romaine qui ne permet plus l’isolement culturel. Jésus parfait le message prophétique ; il n’a plus besoin de la médiation externe des prêtres mais il enseigne avec autorité et monte à grand risque au Temple de Jérusalem pour la Pâque. Ensuite,

Paul et la première génération chrétienne, à la suite même de Jésus, opèrent un singulier retournement des valeurs, où ce qu’il y a de plus faible et méprisable l’emporte ... Ce retournement historique est à la base de la pensée et de la pratique chrétiennes, ou du moins devrait l’être. Il s’exprime, entre autres, dans une ancienne hymne judéo-chrétienne, reprise et aménagée par Paul : « Lui (Jésus) qui appartient à la réalité divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être à l’égal de Dieu ; au contraire, il s’est lui-même vidé, assumant (en lui) la réalité de l’esclave en devenant semblable aux hommes ; puis ... il s’abaissa lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.50.

Paul, scandalisé comme le devait être un juif pratiquant par le rôle de médiateur direct qu’assume Jésus, qui ne baptise plus dans l’eau, comprendra que le judaïsme doit être vécu de l’intérieur ; ce qui ôte dès lors toute importance aux prescriptions minutieuses de la Loi juive, incluant la circoncision. À ses yeux le comportement éthique ne trouve plus son fondement dans la Loi mais procède spontanément de la foi vive, c’est-à-dire d’une expérience mystique.

~70 Paul l’Apôtre

Le premier siècle appelle une redéfinition du judaïsme au regard de la domination gréco-romaine qui ne permet plus l’isolement culturel. Jésus parfait le message prophétique ; il n’a plus besoin de la médiation externe des prêtres, mais enseigne avec autorité et monte à grand risque au Temple de Jérusalem pour la Pâque. Ensuite :


« Paul et la première génération chrétienne, à la suite même de Jésus, opèrent un singulier retournement des valeurs, où ce qu’il y a de plus faible et méprisable l’emporte désormais... Ce retournement historique est à la base de la pensée et de la pratique chrétiennes, ou du moins devrait l’être. Il s’exprime, entre autres, dans une ancienne hymne judéo-chrétienne, reprise et aménagée par Paul : «Lui (Jésus) qui appartient à la réalité divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être à l’égal de Dieu; au contraire, il s’est lui-même vidé, assumant (en lui) la réalité de l’esclave en devenant semblable aux hommes ; puis... il s’abaissa lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix»... singulier retournement des valeurs, où ce qu’il y a de plus faible et méprisable l’emporte désormais sur les gloires apparentes de ce monde.51 .

Paul comprendra que le judaïsme doit être vécu de l’intérieur; ce qui ôte dès lors de l’importance aux prescriptions minutieuses de la Loi juive. À ses yeux le comportement éthique ne trouve plus son fondement dans la Loi, mais procède spontanément de la foi vive, d’une expérience intime. Les mystiques reprendront très souvent des versets de saint Jean et des Épîtres de Paul, que l’on peut considérer comme un des leurs. Ainsi du verset :

«… et je vis, mais non plus moi-même : c’est Jésus-Christ qui vit en moi : et en ce que je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi52 ».

~80 L’Évangile selon Matthieu

Les Béatitudes


3 Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.        

4 Heureux les doux : ils auront la terre en partage.  

5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.

6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.

7 Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.

8 Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.

9 Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.

10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.

11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous  toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux.



Le lavement des pieds 53


Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.é 130


~130 Épictète et le stoïcisme

Les stoïciens 54 proposent une « philosophie du bonheur », tout comme les épicuriens. L’apatheia (absence de passions) est reprise par des chrétiens grecs (Évagre 55, Climaque). L’influence de Cicéron sera importante mais elle s’exerce au niveau de l’ascèse plutôt que sur les mystiques 56. Celle de Sénèque sera considérable chez tous et à toute époque : « On n’est pas sage, on le devient » et son exhortation, rédigée lorsque le péril le menace, émeut. L’influence d’Épictète, mineure sur les Pères du désert contrairement à ce qui a été avancé, s’exerce dans l’Occident chrétien  lorsque les milieux platoniciens de Florence, le prenant pour un disciple de Platon, assurent sa traduction latine par Politien (1497) 57. François de Sales et Pascal l’apprécient, avec des réserves.

~170 Textes bouddhiques dont L’enseignement de Vimalakîrti

Le texte de la Concentration de la Marche héroïque 58 dont l’original sanscrit est perdu, fut l’un des premiers textes bouddhiques traduits en chinois dès 186 (puis par Kumârajîva entre 402 et 409) :


« Et les Buddha, où vont-ils ?

… nulle part.

Ne vont-ils pas au Nirvâna ?

Tous les dharmas sont [déjà] absolument nirvanés… De par la nature même du Nirvâna, on ne va pas au Nirvâna.


Dans le passé, des Buddha aussi nombreux que les sables du Gange ne sont-ils pas allés au Nirvâna ?

Tous ces Buddha aussi nombreux que les sables du Gange sont-ils nés ? (185).


L’homme au vase intact, c’est le Bodhisattva qui, tout en assurant son propre bien, peut encore donner à tous les êtres (254).


La Prajnâpâramita expose ainsi sa «carrière» idéale  :

Le Bodhisattva se fixe dans la perfection de sagesse en ne s’y fixant pas. Il doit remplir la perfection du don… en ne voyant ni donateur, ni bénéficiaire, ni chose donnée. Il doit remplir la perfection de la moralité en ne concevant plus ni péché ni acte méritoire… (30).


L’enseignement de Vimalakirti59 est le grand texte destiné aux laïcs « maîtres de maisons », débordant largement le cadre de la congrégation des moines ou samgha :


[La maladie de Vimalakirti]


Maître de maison, ta maladie, d’où provient-elle ? Combien de temps durera-t-elle ? sur quoi repose-t-elle ? Après combien de temps s ’apaisera-t-elle ?

– Mañjušri, ma maladie durera ce que dureront chez les êtres l’ignorance et la soif de l’existence. Ma maladie vient de loin, de la transmigration à son début. Tant que les êtres seront malades, moi aussi je serai malade ; quand les êtres guériront, moi aussi je serai guéri. Pourquoi ? Mañjusri, pour les Bodhisattva, la sphère de la transmigration, ce sont les êtres, et la maladie repose sur cette transmigration. Lorsque tous les êtres échapperont aux douleurs de cette maladie, alors les Bodhisattva, eux aussi, seront sans maladie. (224).


[Comment consoler un bodhisattva malade... de façon à le réjouir ?]


Il lui dit que le corps est impermanent, mais ne l’invite pas à éprouver à son endroit dégoût ou répugnance. Il lui dit que le corps est douloureux, mais ne l’exhorte pas à se complaire dans le Nirvãna. Il lui dit que le corps est impersonnel, mais l’invite à faire mûrir les êtres. Il lui dit que le corps est calme, mais ne l’exhorte pas à cultiver le calme définitif.

Il l’exhorte à se repentir de ses fautes antérieures, mais ne dit pas que ces fautes sont passées. Il l’exhorte à utiliser sa propre maladie pour avoir pitié des êtres malades et chasser leurs maladies. (227).


270 Les Ennéades de Plotin (205-270)

Plotin, philosophe platonicien, est probablement éclairé par une expérience mystique, mais dont il ne parle pas directement : « La fin et le but, c’était pour lui l’union intime avec le Dieu qui est au-dessus de toutes choses. Pendant que je fus avec lui, il atteignit quatre fois ce but, grâce à un acte ineffable60 »

Le philosophe Emile Bréhier signale «l’extrême rareté des états d’extase chez Plotin et dans son école ; c’est un trait par où la mystique néoplatonicienne s’oppose à celle du moyen âge». Ceci peut simplement indiquer qu’il s’agit d’états profonds. L’influence de Plotin sera considérable sur les mystiques qui adoptent le schéma dit «  des émanations », en terres d’Islam comme en terres chrétiennes, à la suite de Denys lui-même éclairé des derniers feux de l’école néoplatonicienne d’Athènes.

Le site «  cheminsmystiques.fr» propose des extraits de l’un des cinquante-quatre traités des Ennéades. Il s’agit du traité intitulé «De la Providence I» accompagné d’une synthèse 61.

Le néoplatonisme de Plotin à Proclus (412-485)

L’œuvre de Plotin 62 fut très influente dès le Moyen Âge, ne serait-ce que par l’intermédiaire d’Origène (~185 ~254), que l’on a cru être son condisciple à Alexandrie auprès d’un maître commun, père du néoplatonisme, Ammonios Saccas. Si cette thèse séduisante reste incertaine, - l’Origène disciple d’Ammonios (avec Herennios) pouvant avoir été confondu à tort avec l’Origène chrétien, - elle traduit bien l’importance et une certaine confiance accordée à Plotin 63. Au XIe siècle, Guillaume de Saint-Thierry connaît bien Origène, « le plus lu de tous les anciens auteurs grecs » 64.

Le néoplatonisme ne s’arrête pas à l’œuvre de Plotin : la permanence de l’école néo-platonicienne malgré la montée en puissance du christianisme et une vie « en famille » probablement de nature spirituelle propre au milieu de l’École d’Athènes est heureusement évoquée en introduction à la Théologie platonicienne de Proclus (412-485) :

« La tradition de la philosophie platonicienne, devenue le dernier rempart de la religion païenne [...] s’est conservée à l’intérieur de ‘familles d’universitaires’ comme une foi que l’on se transmettait de père en fils. » 65.

L’apport des païens a été sous-estimé par suite de la destruction systématique des sources écrites, combiné au désir d’attribuer une valeur incomparable à une fraction des écrits chrétiens. Parmi les rares textes antiques qui nous sont parvenus, à l’Hymne à Zeus stoïcien 66 répond sept siècles plus tard l’Hymne à la transcendance de Dieu de Proclus, attribué à Denys, qui témoigne de la piété personnelle des derniers philosophes païens 67 :

Seul, Tu es inconnaissable puisque tout ce qui est connu vient de Toi.

Tout ce qui parle et qui ne parle pas Te proclame d’une voix claire,

Tout ce qui connaît et qui ne connaît pas Te rend des honneurs,

Car tous les désirs et toutes les nostalgies de toutes choses

Se portent vers Toi ; tous les êtres T’adressent une prière,

Et tout ce qui connaît Ton chiffre Te dit un hymne silencieux.

En Toi seul tout demeure ; vers Toi tout ensemble s’élance,

Tu es la fin de tout, Tu es l’unique, le tout, le rien,

Tu es non-un, non-tout. Innommé, comment Te nommerait-on,

Toi, le seul innommable ?

Plotin aurait touché quatre fois mystiquement « le Premier » 68. Rappelons l’universalité de sa voie « apophatique ». Damascius d’Alexandrie, le dernier des maîtres « païens », célèbre l’Ineffable, « inaccessible à tous », peu avant la fermeture en 529 de l’École d’Athènes. Cette voie semble moins vivante chez les intermédiaires Porphyre (-305) et Jamblique. Mais on la retrouve chez Proclus (-484) comme nous venons de le lire.

Elle influença Denys 69 et, par ce supposé disciple de Jésus, exerça d’innombrables influences indirectes. Le néoplatonisme exerça aussi une grande influence par une autre voie, celle des commentaires de Proclus aux dialogues de Platon repris au Moyen Âge, puis à la Renaissance par l’Académie platonicienne de Florence illustrée par Ficin (-1499), enfin au XVIIe siècle par les platoniciens de Cambridge.

Le commentaire sur le Parménide rassemble ainsi les thèmes de la supériorité de l’amour et des conditions nécessaires à la contemplation de l’Unique :

la beauté convertit toutes choses vers elle-même, les met en mouvement, fait qu’elles soient possédées du divin et les rappelle à elle par l’intermédiaire de l’amour, elle est ce qui inspire l’amour ... il ne faut pas rechercher le bien à la manière d’une connaissance, c’est-à-dire d’une manière imparfaite, mais en s’abandonnant à la lumière divine et en fermant les yeux ... car ce genre de foi est supérieur à l’opération de connaissance ... c’est par elle que tous les dieux sont unis et rassemblent autour d’un centre unique selon une seule forme toutes leurs puissances et leurs processions 70.

Enfin l’influence antique d’origine païenne s’exerce par l’intermédiaire de Denys l’Aréopagite auquel nous consacrons ci-dessous une section.



~390 La Vie de Moïse de Grégoire de Nysse (~331 apr. 394) et les Pères grecs .

La patristique grecque est restée influente en Orient. Elle ne peut être négligée sous le prétexte d’une présence très diffuse dans l’Occident latin médiéval, car elle fut relayée tardivement par l’intermédiaire de Byzantins émigrés 71. Nous évoquerons par la suite Clément d’Alexandrie (- av. 215), figure très importante aux yeux d’un Fénelon émerveillé de trouver un frère en expérience mystique dans un passé si proche du Christ72.

Antoine (-356) a une grande influence sur le monachisme occidental ; Basile de Césarée (-379) parle de l’Esprit « incirconscriptible », qui n’est pas l’esprit opposé au corps mais l’Esprit indépendant de nos catégories temporelles et spatiales : « l’Esprit ... émet suffisamment pour tous la grâce en plénitude ». L’humilité est le remède et le moyen du salut. L’initiative est divine, conformément à l’expérience de tous les mystiques :

Ce n’est pas toi qui as connu Dieu par ta propre justice, mais Dieu qui t’a connu par bonté ... Ce n’est pas toi qui as saisi le Christ par vertu, mais le Christ qui t’a saisi par son avènement.

Faut-il lui reconnaître une première division devenue classique « des trois voies » en voie purgative, voie illuminative, voie unitive ?

Par lui [l’Esprit] s’opère la montée des cœurs. Il conduit par la main les faibles et rends parfaits les progressants. Illuminant ceux qui sont purifiés de toute souillure, il les rend spirituels en se les unissant73.

Parmi les écrits des Pères grecs, La vie de Moïse ou traité de la perfection en matière de vertu de Grégoire de Nysse74 présente « une doctrine toute centrée sur la perfection conçue comme progrès indéfini », selon J. Danielou qui résume la doctrine : « Le but de la vie spirituelle est de rendre l’âme à sa vraie nature. C’est l’idée commune à toute la pensée antique, ... idée platonicienne, d’une divinité immanente à l’âme que l’âme retrouve par un retour en elle-même. Mais cette idée paraît difficilement conciliable avec la conception chrétienne de la gratuité de la communication que Dieu fait de lui-même. ... L’essence de l’âme est ... une « participation » toujours croissante, mais jamais achevée, à Dieu. » 75.

Grégoire de Nysse présente le sens spirituel du récit de l’Exode. Il souligne la transcendance divine :

Ce que Moïse, à la lumière de la théophanie, me paraît avoir compris alors, c’est précisément qu’aucune des choses qui tombent sous les sens ou qui sont contemplées par l’intelligence ne subsistent réellement, mais seulement l’être transcendant et créateur de l’univers à qui tout est suspendu. Quels que soient en effet, en dehors de lui, les êtres vers lesquels l’intelligence se tourne, elle ne trouve pas en eux cette suffisance qui leur permettrait d’exister en dehors de la participation à l’être.76.

La « nuée » de la grâce est notre guide dans la quête du bien :

Chaque fois que quelqu’un fuit l’Égyptien et que, parvenu hors des frontières, il s’effraie des attaques des tentations, son guide lui apprend à attendre d’en haut le secours inespéré, lorsque l’ennemi, cernant les fuyards avec son armée, l’oblige à se frayer un chemin dans la mer ; dans cette traversée il a pour guide la "nuée" : ce mot, qui désigne le guide, a été interprété à juste titre, par nos devanciers, [comme] de la grâce du Saint Esprit, qui dirige les justes vers le bien. 77.

Entretenir sans cesse la disposition amoureuse est la condition requise pour contempler une beauté qui se découvre sans limite :

Il [Moïse] fait disparaître l’idole. Il apaise Dieu. Il rétablit la loi ... Il rayonne de gloire – et s’étant élevé par de telles élévations, il brûle encore de désir ... Ressentir cela me semble d’une âme animée d’une disposition amoureuse à l’égard de la beauté essentielle, que l’espérance ne cesse d’entraîner de la beauté qu’il a vue à celle qui est au-delà et qui enflamme continuellement son désir de ce qui reste encore caché par ce qu’elle découvre sans cesse. ... Car c’est en cela que consiste la véritable vision de Dieu, dans le fait que celui qui lève les yeux vers lui ne cesse jamais de le désirer.78.


~430 Cassien (~360 ~430)

Moine d’Orient qui résida en Égypte à Scété au moins sept ans, puis à Rome dix ans où il défend saint Jean Chrysostome qui l’avait remarqué et ordonné diacre, il fonde deux monastères à Marseille. Ses attachantes Conférences auront une influence déterminante sur tout le monachisme d’Occident. Peu favorable à saint Augustin, il partage l’optimisme des Orientaux.


« Celui qui en est encore au stade du progrès s’élèvera de cette contemplation pour parvenir à cet unique dont il est parlé, c’est-à-dire à la vue de Dieu seul, avec l’aide de sa grâce. Dépassant alors les actes et les ministères merveilleux des saints eux-mêmes, l’âme n’aura désormais d’autre aliment que la connaissance de Dieu et la joie de sa beauté79. »


Saint Augustin (~354 - 430) et les Pères latins

Saint Augustin est le plus influent des Pères latins. Dans la droite ligne de saint Paul, il a été marqué par Cicéron, Mani, Plotin, Ambroise. Dans son œuvre très ample, outre les célèbres Confessions, la seconde partie de La Trinité traite du Mystère défini ainsi : « Et voici trois choses : celui qui aime, ce qui est aimé, et l’amour même ». La transformation de l’âme sous l’influence de la grâce permet de retrouver le Créateur à l’intérieur du cœur 80.

Pourquoi aller et courir au plus haut des cieux, au plus profond de la terre, à la recherche de celui qui est tout près de nous, si nous voulons être tout près de lui ? / Que personne ne dise : je ne sais quoi aimer. Il connaît mieux en effet l’amour dont il aime, que son frère qu’il aime. Et voilà dès lors que Dieu lui est mieux connu que son frère…

430 Augustin (~354 - 430)

Les Confessions81

Qu’ai-je  à demander que tu viennes en moi,

moi qui ne serais pas si tu n’étais en moi?  ...

Où te fait venir mon appel, puisque je suis en toi ?

Ou bien, d’où peux-tu venir en moi ? ...

Et quand tu te répands sur nous,

ce n’est pas toi qui es renversé, mais nous que tu relèves,

ce n’est pas toi qui t’éparpilles, mais nous que tu rassembles.

(Confession I, 277).


J’étais devenu moi-même pour moi une immense question, et j’interrogeais mon âme : pourquoi était-elle triste, et pourquoi me troublait-elle si fort ? Et elle ne savait rien me répondre. Et si je lui disais : « Espère en Dieu », elle avait raison de ne pas obéir, parce qu’il était plus vrai et meilleur, l’homme si cher qu’elle avait perdu (l’ami qui vient de mourir), que le fantôme en qui on lui ordonnait d’espérer.

(Conf. IV, 423).


Or quoi de plus superbe que d’affirmer, dans une étrange folie, que j’étais, moi, par nature ce que tu es, toi?  Bien sûr, moi j’étais un être changeant, et c’était l’évidence pour moi du fait que je désirais précisément être sage afin de devenir de moins bon, meilleur ; et malgré cela j’aimais mieux te croire changeant toi aussi, que de croire ne pas  être ce que tu es. C’est pourquoi j’étais repoussé, et tu résistais à mon entêtement gonflé de vent ; et j’imaginais des formes corporelles ; et, chair, j’accusais la chair ; et « souffle qui s’en va », je ne revenais pas vers toi ; et m’en allant, j’allais vers des choses qui ne sont pas, ni en toi, ni en moi, ni dans les corps ; et elles n’étaient pas pour moi des créations de ta vérité, mais des fictions de ma vanité à partir des corps. Et je disais à tes petits enfants, tes fidèles, mes concitoyens, du milieu desquels j’étais banni sans le savoir, je leur disais, hâbleur inepte : « Pourquoi donc l’âme s’égare-t-elle, si Dieu l’a faite ?»

(Conf. IV, 453).


Que j’étais donc malheureux, et comme tu as su t’y prendre pour me faire sentir mon malheur, ce jour-là ! Je me préparais à déclamer l’éloge de l’Empereur, où j’allais dire bien des mensonges qui vaudraient au menteur la faveur des gens bien informés ; et ces soucis faisaient haleter mon cœur, brûlé par la fièvre de pensées dissolvantes, lorsque, en traversant un quartier de Milan, je remarquai un pauvre, un mendiant déjà saoul, je crois, qui folâtrait joyeusement. Et je gémis, et j’entretins les amis qui m’accompagnaient, des multiples souffrances causées par nos folies : tous nos efforts, tels ceux qui me faisaient peiner en ce moment où, sous l’aiguillon des convoitises, je traînais le fardeau de mon infortune et l’aggravais en le traînant, n’avaient pas d’autre but que de nous faire parvenir à une joie tranquille ; et voilà où ce mendiant déjà nous avait précédés, nous qui jamais peut-être n’y accéderions. Car ce que lui déjà, avec quelques piécettes mendiées, avait obtenu, c’était ce que moi, par des biais et des détours si épuisants, j’ambitionnais d’atteindre, à savoir la joie d’un bonheur temporel.

Il n’avait pas bien sûr la joie véritable, mais moi de mon côté, par ces menées ambitieuses, j’en cherchais une bien plus fausse. En tout cas, lui était joyeux, moi j’étais anxieux, lui tranquille, moi tremblant. Et si l’on m’eût demandé ce que j’aimais mieux, être dans l’allégresse ou dans la crainte, j’aurais répondu : dans l’allégresse ; si l’on m’eût encore demandé ce que je préférais, être tel que lui ou tel que j’étais alors, c’est moi-même, accablé de soucis et de craintes, que j’aurais choisi, mais par un jugement pervers. Eût-il pu être vrai ? Non, en fait je ne devais pas me préférer à lui en tant que plus savant, puisque de là je ne tirais aucune joie, mais que par là je cherchais à plaire aux hommes, non pas pour les instruire, mais seulement pour plaire.

(Conf. VI, 535-537).


... d’une part, ce que je sais de moi, c’est quand tu fais la lumière sur moi que je le sais ; de l’autre, ce que j’ignore de moi, je l’ignore toujours, jusqu’à ce que mes « ténèbres » deviennent « comme un plein midi devant ta face. » (...)

Et pourtant, j’aime certaine lumière et certaine voix, certain parfum et certain aliment et certaine étreinte quand j’aime mon Dieu :

lumière, voix, parfum, étreinte

de l’homme intérieur qui est en moi,

où brille pour mon âme ce que l’espace ne saisit pas,

où résonne ce que le temps rapace ne prend pas,

où s’exhale un parfum que le vent ne disperse pas,

où se savoure un mets que la voracité ne réduit pas,

où se noue une étreinte que la satiété ne desserre pas.

C’est cela que j’aime quand j’aime mon Dieu.

Et qu’est-ce que cela ? J’ai interrogé la terre et elle m’a dit : « Ce n’est pas moi. »  Et tout ce qui est en elle a fait le même aveu. (...) Et j’ai dit à tous les êtres qui entourent les portes de ma chair : « Dites-moi sur mon Dieu, puisque vous ne l’êtes pas, dites-moi sur lui quelque chose ; » Ils se sont écriés d’une voix puissante : « C’est lui-même qui nous a faites. » Mon interrogation, c’était mon attention ; et leur réponse, leur beauté.

(Conf. X, 153-157).

485 Proclus (412 - 485).

La permanence de l’école néo-platonicienne malgré la montée en puissance du christianisme et une vie « en famille » probablement de nature spirituelle, propre au milieu de l’École d’Athènes, est heureusement évoquée en introduction à la Théologie platonicienne de Proclus (412-485)82 : « La tradition de la philosophie platonicienne, devenue le dernier rempart de la religion païenne [...] s’est conservée à l’intérieur de “familles d’universitaires” comme une foi que l’on se transmettait de père en fils»

L’apport des païens a été sous-estimé par suite de la destruction systématique des sources écrites, combiné au désir d’attribuer une valeur incomparable à une fraction des écrits chrétiens. Parmi les rares textes antiques qui nous sont parvenus, à l’Hymne à Zeus stoïcien83 répond sept siècles plus tard l’Hymne à la transcendance de Dieu de Proclus, attribué à Denys, qui témoigne de la piété personnelle des derniers philosophes païens 84 :


« Toi qui es au-delà de tout, est-il permis de Te chanter autrement ?

Une parole peut-elle Te célébrer ? Non, car Tu ne peux être dit par aucune.

Seul, Tu es indicible puisque tout ce qui est dit vient de Toi.

Un esprit peut-il Te connaître ? Non, car Tu ne peux être saisi par aucun.

Seul, Tu es inconnaissable puisque tout ce qui est connu vient de Toi.

Tout ce qui parle et qui ne parle pas Te proclame d’une voix claire,

Tout ce qui connaît et qui ne connaît pas Te rend des hon­neurs,

Car tous les désirs et toutes les nostalgies de toutes choses

Se portent vers Toi ; tous les êtres T’adressent une prière,

Et tout ce qui connaît Ton chiffre Te dit un hymne silencieux.

En Toi seul tout demeure ; vers Toi tout ensemble s’élance,

Tu es la fin de tout, Tu es l’unique, le tout, le rien,

Tu es non-un, non-tout. Innommé, comment Te nommerait-on,

Toi, le seul innommable ? Quel esprit céleste pourrait

S’insinuer dans les ténèbres plus que lumineuses ?

Sois favorable.

Toi qui es au-delà de tout, est-il permis de Te chanter autrement ? » 85.

Plotin aurait touché quatre fois mystiquement «le Premier». Rappelons l’universalité de sa voie «apophatique». Damascius d’Alexandrie, le dernier des maîtres «païens», célèbre l’Ineffable, «inaccessible à tous», peu avant la fermeture en 529 de l’école d’Athènes 86. Elle semble moins vivante chez les intermédiaires Porphyre (-305) et Jamblique. Mais on la retrouve chez Proclus (-484) comme nous venons de le lire.


~ 500? Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayâlankâra).

Grand ouvrage par sa taille mais surtout par une profondeur spirituelle et psychologique exceptionnelle. Il bénéficie d’une belle traduction 87. Le cadeau de reconstitution offert par Edward Conze constitue un précieux «manuel» auquel je retourne parfois pour en goûter la grande Paix. Quelques fragments détachées du flux textuel ne peuvent ici en rendre compte (même précisé et éclairé par des notes) :

[For the Boddhisattva :]

. . . attitude of mind to all beings 88 consists in his aspiring for the four unlimited 89, i.e. friendliness, compassion, sympathetic joy and impartiality . . . (p.166)

. . . does not aspire for any fruit of his giving which he could enjoy in Samsara [in the world] and it is only for the purpose of protecting beings, of liberating them that he courses in the perfection of giving. (534)

. . . does not develop the notion that “form, etc. is existence” . . . And why? Because when he is attached to existence 90 he forms an attachment to giving, morality, patience, vigour, meditation, and wisdom. And one who is thus attached can have no emancipation. (546)

Denys l’Aréopagite (~500)

Denys l’Aréopagite qui fut considéré comme un disciple de saint Paul (d’où l’appellation à l’effet pervers de « pseudo-Denys »), est la plus influente des sources de l’Antiquité tardive reconnue par les mystiques chrétiens. Il faut attendre le XIXe siècle pour établir la date approximative d’apparition du corpus dionysien, postérieur à 482, antérieur aux auteurs qui le citent au début du VIe siècle91. L’auteur est probablement un moine d’origine syrienne, au confluent du courant chrétien et du courant néo-platonicien ; il aurait suivi les cours de Damascius 92 à Athènes peu avant que l’Académie ne soit fermée. Son œuvre complète est d’accès facile, vu sa relative brièveté 93. On y retrouve le thème, partagé avec Proclus, du Beau qui attire à lui l’âme dans le recueillement :

C’est cette Beauté qui produit toute convenance, toute amitié, toute communion, c’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres ... [L’âme] se meut d’un mouvement circulaire lorsque, rentrant en soi-même, elle se détourne du monde extérieur, lorsqu’elle rassemble en les unifiant ses puissances d’intellection dans une concentration qui les garde de tout égarement, lorsqu’elle se détache de la multiplicité des objets extérieurs pour se recueillir d’abord en soi-même, puis, ayant atteint à l’unité intérieure, ayant unifié de façon parfaitement une l’unité de ses propres puissances, elle est conduite alors à ce Beau et Bien, qui transcende tout être, qui est sans principe et sans fin.94.

La puissance créatrice divine est la cause agissante cachée qui demeure hors du domaine parcouru par le mouvement circulaire (parfait) de l’âme, en quelque sorte un attracteur 95 de l’âme :

C’est par surabondance de bonté que la Cause universelle désire amoureusement tout être, opère en chacun, parachève toute perfection, conserve et tourne à soi toute réalité, que ce désir amoureux est en Dieu parfaite Bonté d’un Être bon, qui se réalise à travers le Bien même. Faiseur de Bien en toute chose, cet amoureux désir, préexistant de façon surabondante au cœur même du Bien, ne lui aurait pas permis de demeurer stérile et de se replier sur soi-même, mais il le met tout au contraire en branle pour qu’il agisse selon cette puissance surabondante d’universel engendrement.96.

En conférant la ressemblance divine aux créatures, Elle les ordonne selon une hiérarchie qui répand la lumière céleste :

Et il convient ... que les illuminateurs, intelligences plus transparentes que les autres et capables par elles-mêmes tout ensemble de participer à la lumière et de retransmettre cette participation, dans la bienheureuse splendeur d’une sainte plénitude, répandent cette lumière de toutes parts débordante sur ceux qui en sont dignes.97.

Cette vision hiérarchique est reprise chez certains mystiques pour rendre compte de la communication de la grâce dans la prière. Le modèle néo-platonicien des processions ou émanations s’accorde assez bien à l’expérience intime propre aux grandes religions monothéistes.

Elles l’adoptent sous la condition que soit préservé le dynamisme d’une circulation de la grâce ou énergie issue d’un Centre divin. Le modèle peut être présenté analogiquement à l’aide de belles images empruntées à l’optique, telle celle d’un cercle de miroirs reflétant les uns aux autres la lumière unique issue d’une flamme (divine) située en son centre.98.

L’influence de Denys est immense jusqu’à la fin du XVIIe siècle ; Mme Guyon, sensible à cette vision hiérarchique du monde, empruntant l’analogie « par transmission », déclare :

Si nous étions sans action, sans retour, sans réflexion et que nous fussions toujours ainsi exposés à Dieu en pure et nue foi, nous deviendrions des Séraphins. Les hommes de cette sorte ... consumés par la Divinité dont ils sont plus proches que les autres esprits bienheureux ... sont comme ces miroirs ardents [lentilles] qui, pénétrés des rayons du soleil, brûlent ce qui est au-dessous d’eux.99.

~500 Denys l’Aréopagite

Denys l’Aréopagite qui fut considéré comme un disciple de saint Paul -- d’où l’appellation à l’effet pervers de «pseudo-Denys» -- est la plus influente des sources de l’antiquité tardive reconnue par les mystiques chrétiens. Il faut attendre le XIXe siècle pour établir la date approximative d’apparition du corpus dionysien, postérieur à 482, antérieur aux auteurs qui le citent au début du VIe siècle 100. L’auteur est probablement un moine d’origine syrienne, au confluent du courant chrétien et du courant néo-platonicien ; il aurait suivi les cours de Damascius  101 à Athènes peu avant que l’Académie ne soit fermée. Son œuvre complète est d’accès facile, vu sa relative brièveté 102. On y retrouve le thème, partagé avec Proclus, du beau qui attire à lui l’âme dans le recueillement :

« C’est cette Beauté qui produit toute convenance, toute amitié, toute communion, c’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres... [L’âme] se meut d’un mouvement circulaire lorsque, rentrant en soi-même, elle se détourne du monde extérieur, lorsqu’elle rassemble en les unifiant ses puissances d’intellection dans une concentration qui les garde de tout égarement, lorsqu’elle se détache de la multiplicité des objets extérieurs pour se recueillir d’abord en soi-même, puis, ayant atteint à l’unité intérieure, ayant unifié de façon parfaitement une l’unité de ses propres puissances, elle est conduite alors à ce Beau et Bien, qui transcende tout être, qui est sans principe et sans fin» 103.

La puissance créatrice divine est la cause agissante cachée qui demeure hors du domaine parcouru par le mouvement circulaire (parfait) de l’âme, en quelque sorte un attracteur de l’âme 104 :

« C’est par surabondance de bonté que la Cause universelle désire amoureusement tout être, opère en chacun, parachève toute perfection, conserve et tourne à soi toute réalité, que ce désir amoureux est en Dieu parfaite Bonté d’un Être bon, qui se réalise à travers le Bien même. Faiseur de Bien en toute chose, cet amoureux désir, préexistant de façon surabondante au cœur même du Bien, ne lui aurait pas permis de demeurer stérile et de se replier sur soi-même, mais il le met tout au contraire en branle pour qu’il agisse selon cette puissance surabondante d’universel engendrement 105.

En conférant la ressemblance divine aux créatures, Elle les ordonne selon une hiérarchie qui répand la lumière céleste :

« Et il convient... que les illuminateurs, intelligences plus transparentes que les autres et capables par elles-mêmes tout ensemble de participer à la lumière et de retransmettre cette participation, dans la bienheureuse splendeur d’une sainte plénitude, répandent cette lumière de toutes parts débordante sur ceux qui en sont dignes 106.

Cette vision hiérarchique est reprise chez des mystiques pour rendre compte de la communication dans la prière. Le modèle néo-platonicien des processions ou émanations s’accorde assez bien à l’expérience intime propre aux grandes religions monothéistes. Elles l’adoptent sous la condition que soit préservé le dynamisme d’une circulation de la grâce ou énergie issue d’un Centre divin. Le modèle peut être présenté analogiquement à l’aide de belles images empruntées à l’optique, telle celle d’un cercle de miroirs reflétant les uns aux autres la lumière unique issue d’une flamme (divine) située en son centre. L’analogie « par réflexion » est proposée par un disciple d’Ibn Arabi 107.

L’influence de Denys est immense jusqu’à la fin du XVIIe siècle ; madame Guyon, sensible à cette vision hiérarchique du monde, empruntant l’analogie « par transmission », déclare :

« Si nous étions sans action, sans retour, sans réflexion et que nous fussions toujours ainsi exposés à Dieu en pure et nue foi, nous deviendrions des Séraphins. Les hommes de cette sorte... consumés par la Divinité dont ils sont plus proches que les autres esprits bienheureux... sont comme ces miroirs ardents [lentilles] qui, pénétrés des rayons du soleil, brûlent ce qui est au-dessous d’eux. » 108.


~529 Damascius

Le dernier feu antique est résumé chez Damascius, auteur d’un « livre immense… d’une profondeur et d’une nouveauté admirable 109». Nous attachons à cette entrée et sortie de l’âge antique l’année fatidique 529 où Justinien interdit l’enseignement de la philosophie à Athènes et confisque les biens de l’École. Les sept derniers philosophes «païens» se rendent à la cour de Perse, emportant le rêve de Platon : qu’un roi devint philosophe. Déçus ils quittent cette cour orientale en 532 puis leurs traces se perdent.

« Pourrions-nous le pressentir s’il n’y avait en nous aucune trace de lui, si rien ne nous poussait vers lui ? 110.

« Nous essayons d’abord de voir le soleil, et de loin du moins nous le voyons ; mais plus nous allons à lui, moins nous le voyons et à la fin nous ne voyons plus ni lui ni les autres choses. Au lieu d’être œil qui reçoit la lumière nous sommes devenus la lumière elle-même.» 111.


632 Le Coran de Muhammad (~570 - 632)

Al-Qor’ân, Sourate 1 dite Al-Fatiha 112

« Grâce au nom de Dieu

Le Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux,

La louange est à Dieu, Seigneur de [tous] les mondes,

Tout Miséricordieux, Très Miséricordieux,

Souverain du Jour du Jugement.

C’est Toi que nous servons

et c’est de Toi

que nous recherchons l’aide.

Guide-nous dans la droite Voie

La Voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces,

non pas de ceux qui sont l’objet de [Ta] colère

ni des égarés. »



Al-Qor’ân, Sourate 2 113

« Nous croyons en Dieu

À ce qui nous a été révélé

À ce qui a été révélé

À Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus

À ce qui a été donné à Moïse et à Jésus

À ce qui a été donné aux prophètes

de la part de leur Seigneur.

Nous n’avons de préférence pour aucun d’entre eux

nous sommes soumis à Dieu. »


Al-Qor’ân, Sourate 112 114.

« Dis ;

Lui, Dieu, est UN !

Dieu ! …

L’Impénétrable !

Il n’engendre pas ;

Il n’est pas engendré ;

Nul n’est égal à Lui ! »

713 Houei-neng (638-713), Soûtra de l’Estrade

Voici une entrée assez vaste compte tenu du rôle central tenu par un texte chinois fondateur. Il rend compte de l’expérience du «Sixième Patriarche» du T’chan, certainement un mystique accompli.

Comme l’introduit un traducteur 115 «le Soûtra de l’Estrade est probablement le texte fondateur du Tch'an du Sud, école bouddhiste de l’Illumination subite, de ce qu’en Occident, depuis quelques décennies, on appelle le zen. Il s’agit d’un texte bref, simple, humain, provocateur et décisif : le mode d’emploi, si l’on peut dire, de l’ouverture infinie reconnue par l’homme comme son essence et son site originaires; un manuel de philosophie pratique à l’usage de ceux que dégoûtent enfin leur propre ignorance et leur propre égoïsme, et qui ont pressenti la nécessité de se tenir présents dans l’essentiel.»

Les extraits résument le thème mystique en suivant le fil de ce «Manifeste de l’Eveil». Ils s’ouvrent par la présentation du futur maître, pour l’instant pauvre visiteur «trapu, loqueteux et noiraud comme un barbare du Vaste Sud 116 » :

3.

[...] — Je viens du Ling-nan; je vis à Sin-tcheou. Et je suis venu d’aussi loin vous saluer parce que je ne cherche rien d’autre qu’à devenir Bouddha.

Le maître se renfrogna :

– Vous, un gars de l’extrême Sud, autant dire un macaque : comment pourriez-vous «devenir Bouddha»?

– Nord et Sud, c’est bon pour les hommes, pas pour la bouddhéité! Mon apparence de macaque ne vaut certainement pas votre apparence d’abbé, et pourtant, en quoi sommes-nous différents dans notre bouddhéité? [...]117.

6.

[...] Il était minuit et le supérieur Chen-sieou se tenait devant le mur de la section centrale de la galerie; à la lueur d’une bougie, et à l’insu de tous, il écrivit alors sa stance :

Mon corps est l’arbre de l’Éveil;

Mon esprit ressemble à un clair miroir.

De tout temps, je m’efforce de le faire briller

Sans le laisser se couvrir de poussière. (22) [...]

8.

[...] Voici ma stance :

Il n’y a jamais eu d’arbre de l’Éveil;

Guère plus que de clair miroir.

La bouddhéité est toujours immaculée :

Où y trouverait-on de la poussière? [...]118Cette stance qui différencie les deux écoles — dont chacune remplit une fonction nécessaire — fait l’objet d’un autre commentaire du même traducteur 119 & 120.

12.

[... ] Maître Houei-neng s’écria :

Amis dans le bien, l’homme est naturellement, tout au fond de lui-même, riche de la sagesse de la bodhi et de la prajñâ. Cependant, son esprit erre au gré des circonstances et il ne peut s’en rendre vraiment compte par lui-même. C’est pourquoi il doit recourir à un grand ami dans le bien qui lui montrera la Voie et lui fera voir son essence. [...]

14.

Le «samâdhi de l’unique», c’est la constante pratique de la droiture. Dans le Soûtra de Vimalakîrti, il est dit que «la droiture est le lieu de la pratique; la droiture est une terre pure».

Le samâdhi de l’unique en paroles seulement n’est guère la pratique de la droiture et ne convient pas aux disciples de l’Eveillé. C’est le seul exercice de la droiture à l’égard de tous les phénomènes, sans attachement ni croyance à leur existence réelle, qu’on appelle samâdhi de l’unique.

Les égarés s’attachent à l’apparence des choses et croient qu’il existe réellement quelque «samâdhi de l’unique». Ils redressent leur esprit et restent assis sans bouger, chassent les illusions sans plus produire de pensées — telle est leur «absorption unifiante». Mais alors, ils s’adonnent à une méthode qui les assimile à des objets inanimés et, par surcroît, dresse maints obstacles sur la Voie.

La Voie n’est que communication et fluidité : à quoi bon ces figements? Quand la pensée s’arrête, fluidité et communication s’arrêtent aussi, et l’on se trouve enchaîné. [...]

18.

Amis dans le bien, dans notre méthode, la méditation assise n’a en principe pas recours à l’esprit, ni à la pureté, et il n’y est pas question d’immobilité. [...]

20.

[...] Le corps de chair, reprit-il, est une auberge, non un refuge, mais les trois corps du Bouddha peuplent l’état naturel du voyageur qui y descend. Tous les hommes en sont pourvus; c’est par méprise qu’ils ne les voient pas. Ils cherchent hors d’eux-mêmes le Tathâgata en trois corps et ne voient pas le Bouddha en trois corps qu’ils portent au cœur de leur propre chair. [...]

Le soleil et la lune brillent toujours. C’est seulement parce que les nuages s’interposent qu’il fait clair au-dessus et sombre au-dessous, et qu’il n’est même plus possible de voir le soleil, la lune, ni l’étoile du couchant. Que soudain se lève le vent de la connaissance transcendante : son souffle concentre et dissout les nuées et les brumes, et, bientôt, l’apparence multiple resurgit dans sa totalité. [...]

24.

[...] Je vais vous enseigner, mes amis, la méthode de la Mahâprajñâpâramitâ [...]

Mahâ signifie «grand» et grand désigne l’immensité de l’esprit, vaste comme l’espace vide. Mais ne restez pas assis l’esprit vide : vous assimileriez le vide à une chute dans le néant. Le vide des espaces peut contenir le soleil, la lune et les étoiles, la grande terre, ses montagnes et ses fleuves, toutes les espèces d’arbres et de plantes, les hommes bons et les mauvais, les bonnes et les mauvaises choses, les paradis et les enfers : tout cela se trouve dans le vide.

L’essence de l’homme est vide en ce sens également.

Notre essence est à même d’embrasser tous les phénomènes : telle est sa grandeur. [...]

26.

Qu’appelle-t-on prajñâ? La connaissance. [...]

Pâramitâ peut se traduire par «transcendant» et signifie «libre de la production et de la destruction», car production et destruction n’existent que lorsqu’il y a attachement à l’existence réelle des objets.

Ces derniers sont comme des vagues sur l’eau; la conscience se tient sur la rive. Si elle se détache des objets, il n’est plus pour ceux-ci de production ni de destruction. C’est comme si l’eau s’étirait en un seul flux... [...]

30.

[...] L’égaré questionne le sage et le sage l’instruit de manière à tout lui faire comprendre au cours d’une profonde ouverture. Dès que l’égaré s’ouvre et comprend directement ce qu’est l’esprit, il ne diffère en rien du sage. Sachez donc que, sans cette compréhension parfaite, le Bouddha lui-même est un être ordinaire, mais qu’il suffit d’un instant d’illumination pour que l’être ordinaire soit un Bouddha.

Sachez encore que, de la sorte, les dharmas se trouvent tous rassemblés dans votre corps et votre esprit : alors, pourquoi votre essence originaire, l’évidence du réel, n’apparaîtrait-elle pas subitement dans votre esprit? [...]

31.

[...] L’«absence de pensée» consiste à ne s’attacher à aucun phénomène bien qu’en les percevant tous, à se trouver partout sans s’attacher à aucun lieu : rien d’autre que notre essence à jamais pure... [...]

34.

[...] Il n’y a aucun mérite à mépriser le monde entier dans un moi-moi-moi ininterrompu. Notre essence est une creuse illusion et il n’y a pas de mérites dans le corps absolu.

Pratiquez la vertu à chaque instant, restez égal et droit, et votre mérite, dégagé du mépris, consistera à toujours respecter autrui. [...]

35.

[...] Seigneur préfet, contentez-vous de faire le bien : à quoi bon vouloir, en plus, renaître où que ce soit? Si vous ne mettez pas un terme à vos états d’âme liés aux dix actes négatifs, quel Bouddha viendra vous accueillir sur le seuil de sa terre pure? Si vous compreniez parfaitement la subite méthode du sans-naissance, il ne vous faudrait qu’un bref instant pour voir la terre pure d’Occident. Si vous ne comprenez pas la méthode subite, le Grand Véhicule, la route sera longue, où vous réciterez le nom du Bouddha en pensant à votre vie future : comment en atteindrez-vous jamais le terme?

Seigneur préfet, poursuivit le Sixième Patriarche, le temps d’un clin d’œil, je vais me transporter en Occident avec vous. Nous aurons la terre pure devant les yeux. Vous ne voudriez pas la voir? [...]

Quand l’essence est présente, le corps et l’esprit perdurent; quand l’essence est partie, le corps et l’esprit se détériorent. Le Bouddha est le fait de notre essence : n’allons donc pas le chercher ailleurs qu’en nous-mêmes. Égaré quant à son essence, le Bouddha est un être ordinaire; illuminé dans son essence, l’être ordinaire est un Bouddha. La grande compassion, c’est Avalokita; la joie du détachement n’est autre que Mahâsthâmaprâpta; les maîtres de la pureté sont des Çâkyamounis; la droiture égale est Maitreya; le soi de l’homme s’érige en mont Mérou; les vues fausses forment l’océan; les passions ressemblent aux vagues... [...]

42.

[...] L’esprit humain n’est pas la pensée, mais le vide et la paix qui forment le fond et la source de la pensée. Se détacher des vues fausses, voilà donc «l’unique cause de cette seule grande chose». C’est en ne se méprenant ni à l’intérieur de soi ni à l’extérieur qu’on se détache des extrêmes opposés. La méprise extérieure consiste à croire à l’existence réelle des apparences; la méprise intérieure consiste à croire à leur insubstantialité. En se détachant des apparences au sein des apparences et de l’insubstantialité au sein de l’insubstantialité, on ne se méprend ni dedans ni dehors. Si, un seul instant, votre esprit s’ouvre à cette méthode, vous vous manifesterez, vous aussi, dans les mondes. À quoi votre esprit s’ouvrira-t-il alors? A la connaissance et à la vision d’un Bouddha, d’un être parfaitement éveillé. [...]

52.

[...] Si nous n’avions un esprit de Bouddha,

Où irions-nous chercher le Bouddha? (106)





761 Wang Wei (701-761) & 762 Li po (701-762)

Wang Wei Peintre-poète, adepte du bouddhisme Ch’an :

Montagne vide ne percevoir personne

Seulement entendre voix humaine résonner

Soleil couchant pénétrer forêt profonde

Un instant encore illuminer mousse verte.121.


Li-po :

Avec un ami, passant la nuit :

pour chasser la tristesse de mille années,

nous nous attardons à boire cent pichets

cette belle nuit est propice aux propos purs

la lune lumineuse ne nous laisse pas dormir

ivres nous nous allongeons sur la montagne vide,

le  ciel pour couverture, la  terre pour oreiller.122.


~780 Jean de Dalyatha (~690 ~780)

Originaire d’un village du nord de l’Iraq, au pied des montagnes du Kurdistan, Jean entra dans un monastère du sud de la Turquie actuelle puis s’établit dans la solitude au sein des montagnes de Dalyatha avant que des moines ne se groupent autour de lui. Il est le grand ermite nestorien, condamné puis réhabilité par son Église, dont les homélies et les lettres, joyaux de la mystique syriaque, révèlent une vie mystique conçue comme une «résurrection anticipée» fondée directement sur l’expérience. Il a été redécouvert par un carme missionnaire enseignant en 1956 au Séminaire chaldéen de Bagdad. Nous partageons son éblouissement qui situe Jean «au niveau d’un Jean de la Croix». Par quelque secrète symbiose, Robert Beulay sait rendre compte précisément des étapes de la voie  proposée par purification, sanctification et illumination, union…123 :


Il n’y a pour moi en dehors de lui [le Créateur] ni stabilité, ni mouvement, ni vie, ni perception. Et lorsque je suis absorbé par l’émerveillement, je les vois [la Trinité] (comme) une lampe unique, et comme celle-ci je resplendis. Aussi je m’émerveille de moi-même et me réjouis spirituellement : en moi se trouve la Source de la Vie, cette Source qui est la fin du monde incorporel. Il n’est possible à aucun sage de fournir à ceci une explication : gloire à Celui qui rend sages les siens par ce qui est sien et révèle sa beauté pour la délectation de ceux qui l’aiment !


~800? Le cycle de La grande libération attribué à Padmasambhava.

Le Livre des morts tibétains s’est lentement constitué au cours des siècles par des mises à jour successives de «trésors spirituels» cachés. On fait remonter l’origine de ce cycle à Padmasambhava qui vivait à la fin du VIIIe siècle. La découverte fondatrice aurait eu lieu à la fin du XIVe siècle par Karma Lingpa au pied d’une montagne ; la forme définitive est atteinte au XVIIe siècle ; d’où provient l’intérêt d’un témoignage élaboré lentement en parallèle à l’évolution de la civilisation tibétaine, combinant religion Bon et bouddhisme 124. Cet ensemble polymorphe a fait l’objet d’éditions partielles fortement marquées par l’esprit syncrétiste de traducteurs et d’interprètes 125.

On dispose depuis peu d’une traduction dont les explications attachées aux sections rétablissent l’intention profonde de textes facilitant une pratique méditative restée vivante 126. En ce sens il s’agit d’un Livre pour les vivants qui privilégie le détachement de nature mystique comme préparation au grand passage :

Extrait de la section intitulée La libération naturelle par la vision nue :


9. Si, contemplant, au loin, le ciel extérieur,

II ne jaillit de votre esprit aucune projection,

Et si, observant à l’intérieur votre esprit au plus intime,

Il ne s’y trouve aucun projecteur émettant des pensées discursives,

Votre esprit, pure clarté sans aucune projection chaotique,

Est la Présence intrinsèque, le Corps de réalité [unissant] luminosité et vacuité,

Semblable au lever du soleil dans un ciel limpide sans nuages. (148)

Bien qu’on ne puisse lui attribuer de forme particulière, on le connaît clairement.

Entre comprendre et ne pas comprendre ce point, la différence est immense !

Non créée depuis le tout-commencement, cette claire lumière surgie d’elle-même

Est le petit enfant de la Présence sans parents : étonnant !

Elle n’est produite par personne, car elle est la sagesse surgie d’elle-même : étonnant !

Jamais née, elle ne saurait mourir : étonnant !

Claire à l’évidence, elle n’a pas d’observateur : étonnant ! […]

 

Les apparences ne sont pas l’illusion, c’est l’attachement qui fait l’illusion.

Si vous comprenez que les pensées d’attachement sont

du domaine de l’esprit, elles se libéreront d’elles-mêmes. (158)

 

En réalisant simplement que votre esprit est une sagesse vide,

Les vertus comme les vices ne produiront plus leurs résultats (161)

 

Signification du Chant du vajra cité en présentation de la section de la Libération naturelle :

Sans naissance ni cessation,

Sans allées ni venues, il embrasse toutes choses.

Grande félicité, suprême doctrine immuable,

Semblable au ciel, liberté absolue sans oripeaux,

Sans origine ni support,

Sans lieu ni prise, grand phénomène

Libre depuis l’origine, immensité s’étendant à l’infini,

Sans entraves, il n’a pas à être libéré ;

Omniprésent, il existe depuis toujours,

Embrassant toutes choses dans l’égalité, transcendant les actes variés,

Immensité de l’espace céleste… (452)

 

Extrait de la Clarification de l’état intermédiaire, premier texte central du BardoThödröl :


… essence limpide de la conscience, cet état présent, est une pure vacuité où n’existe en essence aucune substance, aucune caractéristique ni aucune couleur. Cela même est Samantabhadri, la Réalité absolue. C’est l’essence vide de ta propre conscience. Or, sans sombrer dans le non-sens et un vide d’anéantissement, ta propre conscience est manifestement claire et sans entraves, limpide et vive, et cela même est le Bouddha Samantabhadra. (541)

 

Le traducteur conclut : « Loin d’être un néant, la vacuité est l’Ouvert. Ce qui en jaillit est la vie dans sa spontanéité naturelle, c’est-à-dire l’énergie même de l’amour inconditionné que nous avons tous au plus profond de nous-mêmes. Mais, par une tragique méprise, nous ne comprenons pas cette réalité généreuse (973) ».




Table des matières

I 3

Mystiques des grandes Traditions 3

-575 Job à 800 3

Présentation générale : une Histoire des 'mystiques' 4

Pourquoi? 4

Une approche de témoignages des autres. 5

Des chronologies 7

Choix large 8

De la Mystique 10

Florilège 13

Résumé 14

Avertissement 14

Présentation aux contenus du premier tome 15

Mystiques grecs et judéo-chrétiens vérité-charité 15

Mystiques bouddhistes bienveillance 15

Mystiques taoïstes unicité 15

Moines du désert et leurs Apophtegmes 16

Jean Climaque (~575 ~650) et la Philocalie 16

Jean de Dalyatha (~690 ~780) 20

Chronologie de Job à 800 21

0000 Pygmées 22

AC ~1350 Hymne d’Akhnaton. 23

L’Écriture 28

AC ~ 575 Livre de Job 28

Israël et l'Écriture 31

AC ~ 540 Isaïe 32

AC ~ 500 Parménide 34

AC 399 Socrate (AC 470 — AC 399) & Platon (AC 427 — AC 348/7) 36

AC ~350 ? Mundaka Upanishad 37

AC ~300 Lao Tseu/Laozi 38

AC ~250 Hymne à Zeus 39

AC ~ 250 Tchoang-tseu/Zuangzi 41

Le Nouveau Testament 44

~70 Paul l’Apôtre 45

~80 L’Évangile selon Matthieu 47

~130 Épictète et le stoïcisme 48

~170 Textes bouddhiques dont L’enseignement de Vimalakîrti 48

270 Les Ennéades de Plotin (205-270) 51

Le néoplatonisme de Plotin à Proclus (412-485) 51

~390 La Vie de Moïse de Grégoire de Nysse (~331 apr. 394) et les Pères grecs . 55

~430 Cassien (~360 ~430) 58

Saint Augustin (~354 - 430) et les Pères latins 59

430 Augustin (~354 - 430) 59

485 Proclus (412 - 485). 62

~ 500 ? Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayâlankâra). 64

Denys l’Aréopagite (~500) 65

~500 Denys l’Aréopagite 67

~529 Damascius 71

632 Le Coran de Muhammad (~570 - 632) 72

713 Houei-neng (638-713), Soûtra de l’Estrade 75

761 Wang Wei (701-761) & 762 Li po (701-762) 83

~780 Jean de Dalyatha (~690 ~780) 84

~800 ? Le cycle de La grande libération attribué à Padmasambhava. 85

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ISBN : …


Garamond 10 gras textes mystiques et maigre notes et présentations

1 Spinoza,Traité de l'amendement de l'intellect, traduction de Bernard Pautrat, Pléiade, 2022. - Ainsi encouragé par 'le plus grand des philosophes'...

2John C.Eccles, Évolution du cerveau et création de la conscience, 1989; Jared Diamond : Le troisième chimpanzé, De l’inégalité parmi les sociétés, Effondrement, 2005; The world until yesterday, 2012 ; Richard Feynman, Lectures on physics, 1969 ; Benoît Mandelbrot, The fractal geometry of Nature, 1977; Stephen Wolfram, A new kind of science, 2002; Brian Greene, The fabric of the cosmos, 2004; Frank Wilczek, The lighness of being, 2008. Peter Frankopan, Les routes de la soie, l'histoire du coeur du monde, (2015), 2022


3FabianScheidler, La fin de la mégamachine (2015), 2023.

4 Je privilégie la date de disparition de leur auteur s’il est connu pour être le rédacteur original, plutôt que celle de composition souvent inconnue ou d'une publication parfois décalée par rapport à la circulation de manuscrits. Les auteurs composent dans leur maturité ; ils vivaient souvent moins longtemps qu'aujourd’hui.

Je cite parfois des œuvres pour assurer la présence de traditions qui font fi des signatures (c’est le cas de traditions extrême-orientales par exemple bouddhiques). L’incertitude de datation est alors plus grande, soulignée par un tilde.

5Les religions seraient issues de fondateurs mystiques - à leur insu. Observez le passage de l’usage central du terme Apostolus chez Tertullien au second siècle (dans le De praescriptione haereticorum qui remonte par une chaîne humaine aux premiers apôtres) à celui du terme Deus observé chez Ambroise de Milan au quatrième siècle (dans le De Interpellatione Job et David). La comparaison quantifiée et figurée « chimiquement » souligne une dérive menant de l’individu porteur de vérité vers un corps de doctrine. (Nuevas formas de analisis de textos con cerbros electronicos, A. Barcala, J. de Montgolfier, D.Tronc, Univ. Comillas Madrid, 1976, 36, 120.)

6Entrées «1111 al-Ghazali» et «1941 Des avocats» citant Les deux sources de la morale et de la religion.

7Leur environnement et compagnie requérant légitimités érudite et linguistique.

8Outre quelques poètes (généralement nous nous sommes limités à un seul poème par entrée), je dissémine quelques titres « hors norme »  évoquant des domaines d’expression autre que l’écrit, voies alternatives du témoignage mystique écrit : en peinture, Van der Weiden, fra Angelico, Rembrandt valident la tradition chrétienne ; les lavis de la période chinoise des Song valide le bouddhisme T’chan ; les Selva Morale e Spirituale de Monteverdi ou les Cantates de Jean-Sébastien Bach.

9Dans le Dictionnaire de Spiritualité, 95 % des entrées individuelles présentent des membres d’ordres religieux : la turba magna des témoignages écrits de mystiques anonymes laïcs a disparue. Diverses raisons peuvent être avancées dont au simple plan matériel la survie des seuls fonds non privés d’archives et de bibliothèques.

10Honoré de Sainte-Marie (1651-1729), Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation, tome I, 1708.

11Benoît de Canfield, Règle de perfection III, 7, éd.  Arfuyen, 2008.

12Lilian Silburn, « Le Vide, le Rien, l’Abîme”, Coll. Hermès n° 6, 1969.

13Entrée : «~1370 Le Nuage d’Inconnaissance».

14Galates 2, 20.

15On trouve un parallèle dans les historiographies composés de notices par figures, littérature des Tabaqât développée et couronnée par Sulami (Entrée 1021 Sulami »).

16Huit tomes de < 300 pages réductibles à 2 tomes "denses" avant et après 1600.

17  L. Regnault, Paroles du désert d’Égypte, Solesmes, 2005, commente un apophtegme par chapitre pour une dernière retraite destinée à des carmélites. Par ailleurs auteur de Sentences et Apophtegmes des Pères du désert, Solesmes ; nombreux volumes d’auteurs ascétiques et mystiques dans les collections « Sources Chrétiennes » (éd. Cerf) et « Spiritualité Orientale » (éd. Bellefontaine) ; Philocalie des Pères Neptiques (trad. Touraille, éd. Bellefontaine, rééd. Lattès 2 vol., 1995) ; en ce qui concerne l’Occident, étude dans La spiritualité du Moyen Âge, Première partie, par Dom J. Leclercq, Aubier, Paris, 1961.

18Jean Cassien, Conférences, coll. « Sources Chrétiennes ».

19 DS 8.370 sq.

20 Saint Jean Climaque, L’Échelle sainte, collection « Spiritualité Orientale », éd. de Bellefontaine, n°24, 1999, « Introduction » par le P. Deseille, 10.

21Ibid., 12.

22Ibid., Quatrième degré, §13-14 [4, 13-14].

23Ibid., 4, 135.

24Ibid., 30, 11.

25Ibid., 5, 28. Allusion à Luc 7, 47.

26Ibid., 27, 71.

27Ibid., 5, 46.

28Ibid., 28, 46.

29Ibid., 26, 1.

30Ibid., 30, 8. Allusion à I Cor. 13, 5.

31Ibid., 27, 89.

32Ibid., 28, 45.

33Ibid., “Lettre au pasteur”, 54.

34Philocalie des Pères Neptiques, op. cit. : 1580 grandes pages.

35Robert Beulay, L’enseignement spirituel de Jean de Dalyatha, mystique syro-oriental du VIII e siècle, Beauchesne, 1990. Citation p. 406. Par quelque secrète symbiose, R. Beulay sait rendre compte précisément et admirablement des étapes de la voie  proposée : purification, sanctification et illumination, union …

36Roger Caillois, Jean-Clarence Lambert,  Trésor de la poésie universelle, Gallimard/Unesco 1987, «Complaintes mortuaires à deux voix (Afrique Équatoriale, Pygmées)», 44.


37Ibid., 161-162, cit. d’après A. Erman, La Religion des Égyptiens, Payot.


38Philon d’Alexandrie (~15 av. J.-C. - 50 après) dans son De vita contemplativa (Cerf, 1963), décrit cette communauté. L’étude introductive par F. Daumas évoque aux pages 11 à 69 la retraite au désert dans l’Égypte ancienne et aux pages 60 à 65 la communauté du temple Serapeum.

39Jean Steinmann, Le Livre de Job, Cerf, Paris, 1955, Chapitre 30, 184, Chap. 38,  190.


40Philon d’Alexandrie (~15 av. J.-C. - 50 après) dans son De vita contemplativa (Cerf, 1963), décrit cette communauté. L’étude introductive par F. Daumas évoque aux pages 11 à 69 la retraite au désert dans l’Égypte ancienne et aux pages 60 à 65 la communauté du temple Serapeum.

41La Bible, traduction œcuménique, 1988, 874. [traduction établie sur la Biblia hebraica de R. Kittel, 1937].

La Bible, Ancien Testament, coll. Pléiade, II, dir. E. Dhorme, 188, donne des variantes dont : «… familier de la maladie… mais lui, il était traité en impie à cause de nos forfaits, il était écrasé par nos fautes…».


42Trésor de la Poésie universelle, op.cit., 204-205, [reprend Auguste Dies, in Platon, Parménide, Les Belles Lettres, fragment 8].


43 Une introduction ? Emile Bréhier, Histoire de la  Philosophie, PUF, 1930, «Quadrige» 2004, Livre premier, Chap. II & III, 80-151. Citation : 85.


44Voir L’hindouisme, textes et traditions sacrées…, Anne-Marie Esnoul, Fayard, 1972.

Je cite la Mundaka Upanisad, trad. J. Maury, Adrien-Maisonneuve, 1943, suivi d’une précision donnée par Lilian Silburn, Instant et Cause, 1955, 1989,  Chap. III, 105.


45Lao Tseu, Tao Te King, [2e] trad. par Claude Larre,  «Les Carnets», DDB, 1994, extr. du dernier chap. 81. Dans sa première traduction de 1977 :

«… Plus il est aux autres/Plus il est pour lui-même…»

Littérature commentariale immense, variété d’interprétations. Stanislas Julien, Le doctrinal de Lao Tseu, 1842, est déjà pertinent : «Le Sage ne thésaurise pas. Il se donne aux autres; et il s’enrichit toujours plus»; utile translittération chinese-english donnée par P. Carus, 1898; Arthur Waley, The Way and its power, London, 1934: “. . . When his own last scrap has been used up on behalf of others / Lo, he has more than before!…” ; Lao-tzu Te-Tao Ching, a new translation based on the recently discovered Ma-wang-tui texts, by Robert G. Hendricks, 1989. Etc.

Textes introductifs : Max Kaltenmark, Lao Tseu et le taoïsme, “Maîtres spirituels”, Seuil, 1965; Jean Grenier [maître d’Albert Camus], L’Esprit du Tao, 1973. Etc.


46Les Stoïciens, Textes traduits par Emile Bréhier…, Pléiade Gallimard, 1962, “Hymne à Zeus”, 7-8. Issu de Cléanthe (~312 – 232).


47Léon Wieger, Les Pères du Système Taoïste, Cathasia, 1950, 209, 259.

À compléter par les Grands traités du Huainan Zi, ~~AC150 : « …on comprend : Les êtres ne sont plus rien, seule la vie propre a du prix … on atteint l’Ultime : On évacue les êtres, on fait retour aux motions personnelles… » (Les grands traités du Huainan zi, Cerf, 1993).

À compléter par le « Vrai classique du vide parfait »  attribué à Lie tzeu/zi, en fait œuvre tardive ~~400 : « Lie tzeu apprit l'art de chevaucher sur le vent. Yinncheng l'ayant su, alla demeurer avec lui, dans l'intention d'apprendre de lui cet art, et assista à ses extases qui le privaient de sentiment pour un temps notable. Plusieurs fois il en demanda la recette, mais fut éconduit à chaque fois. Mécontent, il demanda son congé. Lie-tzeu ne lui répondit pas. Yinn-cheng s'en alla. Mais, toujours travaillé par le même désir, au bout de quelques mois il retourna chez Lie-tzeu. Celui-ci lui demanda: pourquoi est-tu parti? pourquoi es-tu revenu? — Yinn-cheng dit: vous avez repoussé toutes mes demandes ; je vous ai pris en grippe et suis parti ; maintenant mon ressentiment étant éteint, je suis revenu. — Lie-tzeu dit: je te croyais l'âme mieux faite que cela ; se peut-il que tu l'aies vile à ce point? Je vais te dire comment moi j'ai été formé par mon maître. J'entrai chez lui avec un ami. Je passai dans sa maison trois années entières, occupé à brider mon coeur et ma bouche, sans qu'il m'honorât d'un seul regard. Comme je progressais, au bout de cinq ans il me sourit pour la première fois. Mon progrès s'accentuant, au bout de sept ans il me fit asseoir sur sa natte. Au bout de neuf années d'efforts, j'eus enfin perdu toute notion du oui et du non, de l'avantage et du désavantage, de la supériorité de mon maître et de l'amitié de mon condisciple. Alors l'usage spécifique de mes divers sens, fut remplacé par un sens général; mon esprit se condensa, tandis que mon corps se raréfiait; mes os et mes chairs se liquéfièrent ; je perdis la sensation que je pesais sur mon siège, que j'appuyais sur mes pieds ; enfin je partis, au gré du vent, vers l'est, vers l'ouest, dans toutes les directions, comme une feuille morte emportée, sans me rendre compte si c'est le vent qui m'enlevait, ou si c'est moi qui enfourchais le vent. Voilà par quel long exercice de dépouillement, de retour à la nature, j'ai dû passer, pour arriver à l'extase… » (Wieger, 85).

Par A source book in Chinese philosophy by Wing-tsit Chan, Princeton, 1969; Henri Maspero, Le Taoïsme et les religions chinoises, 1971; John Blofeld, Le Taoïsme vivant, trad. 1977 ; Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, 1997. Etc.

Par la poésie chinoise dont le texte que nous venons de lire fournit un exemple en prose. Ici Entrée “762 Li-po”.

Par la pratique de la calligraphie et du lavis propres à la “peinture” chinoise qui utilise un “alphabet” d’éléments picturaux la liant très naturellement à l’exercice d’écriture. Ici Entrée “761 Wang Wei”.


48Galates 2, 20, cité ici selon la traduction catholique du XVIIe siècle de la Vulgate ancienne revue par Amelote.

49 Madame Guyon, Œuvres mystiques, Champion, 2008, “Discours spirituels”, 1.02 § II, pages 558-559.

50Charles Perrot, Jésus, coll. « Que sais-je ? », 1998, 122, citant Philippiens 2, 6-11.

51Charles Perrot, Jésus, coll. Que sais-je?, 1998, 122, citant Philippiens 2, 6-11.

52Galates, 2, 20, cité ici selon la traduction catholique du XVIIe siècle de la Vulgate ancienne revue par Amelote.

Nous ne sommes plus à nous-mêmes sitôt que nous sommes désappropriés, que nous avons perdu notre propre âme en Dieu. Nous sommes transformés en l’image de Dieu [2 Co 3, 18] c’est-à-dire, transformés en Jésus-Christ, qui est l’image du Père, de sorte, dit-il ailleurs, que je ne vis plus, moi, mais Jésus-Christ vit seul en moi. Je Lui ai cédé par une entière désappropriation la place que je tenais en moi et que j’avais usurpée. Lorsque les mystiques parlent de l’incarnation mystique, c’est la même chose dont parle saint Paul par le terme de formation de Jésus-Christ en nous [Ga 4, 19], qu’il appelle aussi révélation de Jésus-Christ [Ga 1, 16].” (Madame Guyon, Oeuvres  mystiques, Champion, 2008, ‘Discours spirituels’, 1.02 § II, 558–559).

53Jean 13, 4-5, une « action humiliante que l’on ne pouvait même pas imposer à un esclave juif » (note TOB).

54Les stoïciens, Pléiade, 1962 ; Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius, 1993, 2004 (riche introduction de P. Veyne) ; Marcus Aurelius, London, Humphreys, 1902 (belle adaptation anglaise).

55L’apatheia devient progressivement pureté de l’âme, v. A. Guillaumont, Un philosophe au désert, Évagre le Pontique, 2004, 267 sq.

56 DS 14.1248/52.

57 DS 4.833 & 4.849.

58La Concentration de la Marche héroïque (Sûramgama-samâdhi-sûtra), traduit et annoté par Etienne Lamotte, Bruxelles, 1975, pp.185 sv. puis p. 30 “Le Bodhissatva se fixe...”.

59L’enseignement de Vimalakîrti (Vimalakîrti-nirdesa) traduit et annoté par Etienne Lamotte, Louvain, ­1962; voir aussi Sengzhao, Introduction aux pratiques de la non-dualité, Commentaire du Soûtra de la Liberté inconcevable, Traduit du chinois et annoté par Patrick Carré, Fayard; 2004.

60«Vie de Plotin» [par son disciple Porphyre qui avait vécu alors auprès de lui cinq ans], Plotin, Ennéades, I, 27.

61Plotin, Ennéades, trad. Émile Bréhier, Belles-Lettres, 1924, 1963, III, 2 «De la Providence I», 25 sq. Synthèse : Emile Bréhier, Histoire de la Philosophie, op.cit., Chap. VII « Développement du néoplatonisme, I Plotin».

62 DS, art. « Platonisme », en particulier les col. 12.1808/9 ; les Ennéades des Plotin sont traduites par E. Bréhier, 1924-1938, Belles Lettres, 6 vol. ; nouvelles traductions en cours.. – Claire et profonde introduction à Plotin par Bréhier, Histoire de la philosophie, P.U.F. , 2004.

63H. Crouzel pense qu’Origène suivit le cours d’Ammonios sur le traité de Porphyre Contre les chrétiens, DS 11.933. Voir E. Bréhier, prudent, Histoire de la philosophie, op.cit., 406.

64J. Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, Cerf, 1957, 90, & P. Verdeyen, La Théologie mystique de Guillaume de Saint-Thierry, Paris, FAC, 1990, 9.

65Proclus, Théologie platonicienne, Belles Lettres, 6 vol., Introduction par H. D. Saffrey au vol. I, 1968, XXVII ; voir : « L’école d’Athènes au IVe siècle », XXXV-XLVIII.

66L’hymne ouvre Les Stoïciens, op.cit. , 7.

67Proclus, Hymnes et prières, trad. de H. D. Saffrey, Arfuyen, Paris, 1994, 79 ; Firmicus - Porphyre – Sallustus, Trois dévots païens, trad. de A.J. Festugière, Arfuyen, Paris, 1998 ; le dernier feu antique est admirable chez Damascius (Des premiers principes en 1 vol., trad. Galpérine, Verdier, 1987).

68Rapporté par son biographe éditeur et disciple Porphyre.

69Bréhier, Histoire…, op. cit., 2004, 419 sq.

70Proclus, Théologie platonicienne, vol. I, 108 & 110.

71En particulier peu avant la chute de Constantinople en 1453, par l’intermédiaire des membres du groupe constitué autour de Pléthon, le cultivé plénipotentiaire de l’accord trop tardif entre les deux Églises, qui gouverna à Mistra un lambeau du Péloponnèse sous autorité grecque, situé à mi-chemin entre une capitale déjà isolée et l’Italie (Jeremi M.F. Wasiutynski, The Solar Mystery, Solum Forlag, Oslo 2003, 67 sq.).

72Fénelon compose Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie peu après sa rencontre avec Mme Guyon (rééd. Fénelon, La Tradition secrète des mystiques, Arfuyen, 2006).

73Citations de Basile du Contre Eunome et, DS 1.1277/8, extraits Hom. 20 & De spiritu sancto.

74Traduction de La vie de Moïse…, Sources Chrétiennes SC n°1bis ; sur G. de Nysse, DS 6.971/1011.

75Préface à La vie de Moïse…, op.cit., 26-27.

76La vie de Moïse…, § 24-25, SC n°1bis, 121.

77Ibid., § 120-121, 179.

78Ibid., § 229 à 236, 265.

7924 Conférences traduites par Dom E. Pichery, «Sources Chrétiennes», Cerf, 3 vol., 1955-1959. — Citation  : Conférence I, «Du but et de la fin du moine»,  SC n° 42, 1955,  p. 87.

80Citations : La Trinité, Études augustiniennes, 16, 1991, II. Les Images, 71 & 63. – Au sein d’une immense littérature : Paul Agaësse (-1979), L’anthropologie chrétienne selon saint Augustin, Paris, Médiasèvres, 2004 ; Philippe Sellier, Pascal et saint Augustin, [1970], 1995.

81Œuvres de Saint Augustin, 13 & 14, Les Confessions, Trad. Tréhorel et Bouissou, “Études Augustiniennes”, éd. bilingue, Desclée, 1962. –  Dans l’immense œuvre, privilégiez aux mêmes “Études Augustiniennes”, les volumes 15 & 16, La Trinité (profonde introduction et notes par le mystique P. Agaesse, entrée : t. III, « Fidèles aux Traditions », « 1979 Agaësse ».

82Proclus, Théologie platonicienne, Belles Lettres, 6 vol., Introduction par H. D. Saffrey au vol. I, 1968, XXVII; voir : “L’école d’Athènes au IVe siècle”, XXXV-XLVIII.

83reproduit dans l’entrée “AC ~250 Hymne à Zeus”. 

84Proclus, Hymnes et prières, trad. de H. D. Saffrey, Arfuyen, Paris, 1994, 79; v. Firmicus —  Porphyre — Sallustus, Trois dévots païens, trad. de A.J. Festugière, Arfuyen, Paris, 1998.

85Proclus, Hymnes et prières, trad. de H. D. Saffrey, Arfuyen, Paris, 1994, 79; v. Firmicus —  Porphyre — Sallustus, Trois dévots païens, trad. de A.J. Festugière, Arfuyen, Paris, 1998.

86Entrée “~529 Damascius”.

87The Large Sutra on Perfect Wisdom, with the divisions of the Abhisamayâlankâra, translated by Edward Conze, Univ. of California press, Berkeley, 1975, I-XI, 1-679. Reconstitution par concaténation de diverses sources, donc péché de « contamination » aux yeux érudits, mais prise de risque heureuse pour nous !

88[renvoi en note attachée par Conze:] « Nag[arjuna] : All people love their friends and hate their ennemies ; the Bodhisattva [nous devons en devenir un], however, treats friends and foe as the same, as identical. »

89[renvoi:] « 1,3 : When he sees beings happy, he exercises Friendliness and Sympathetic joy, and makes a vow that he will lead all beings to the happiness of Buddhahood. 2 : When he see them unhappy, he exercises Compassion…  […] » : Honnêtement cela n’est pas facile ! aussi le texte d’un tel « bon » sutra est à lire très lentement pour « réaliser » ses contenus exigeants. Les textes d’origine collective sont souvent monotone et répétitifs à une appréciation intellectuelle mais ils visent une autre fin.

90 [renvoi:] « Through his attachment to the two extremes [of eternalism and annihilationism] which is the result of his self-assertion. S. P. AdT. »

91Dictionnaire critique de théologie, 1998, 964a.

92« Nous essayons d’abord de voir le soleil, et de loin du moins nous le voyons ; mais plus nous allons à lui, moins nous le voyons et à la fin nous ne voyons plus ni lui ni les autres choses. Au lieu d’être œil qui reçoit la lumière, nous sommes devenus la lumière elle-même » (Damascius, Des premiers principes, trad. Galpérine, 222).

93Pseudo-Denys, Œuvres complètes… trad. Gandillac, Aubier, [1943], 1980. [Noms divins : 701C-708A sur le Bien, le Beau, l’intériorité, 712C-713D sur l’amour, 872A-873A sur l’inconnaissance. Hiérarchie céleste : 165A-168A] ; DS 3.244/429 ; J. Krynen [thèse disponible aux Archives Saint-Sulpice, annotée par Orcibal] ; R. Roques, L’univers dionysien, 1983.

94Pseudo-Denys, Œuvres…, op.cit., « Les noms divins » 101 et 102, [704A et 705A].

95Le centre de révolution caché qui sous-tend les limites ou frontières au sein desquelles sont canalisés certains phénomènes dynamiques, tels que des trajectoires fermées qui, considérées individuellement, sont chaotiques (dont les révolutions ne répètent jamais le même parcours).

96Ibid., 104 [708A-B].

97Ibid., « La hiérarchie céleste »,198 [168A].

98Une belle analogie « par réflexion » a été proposée par un disciple d’Ibn ‘Arabi : l’analogie optique d’Amoli (-1385) utilisant les moyens connus à son époque (optique « par réflexion ») est explicitée par H. Corbin, Le paradoxe du monothéisme, L’Herne, 1981, LP, 1992, 27 sq. Elle permet « d’intégrer et de différencier », de voir à la fois la flamme unique divine (centrale) et les multiples miroirs (ces derniers seuls perçus par la plupart des hommes malgré l’Image unique qu’ils reflètent).

99Madame Guyon, Correspondance I, Paris, Champion, 2003, lettre à Fénelon n° 201, novembre 1689, 423. - Ces « miroirs pénétrés » sont des lentilles dont les propriétés optiques furent découvertes au début du XVIIe siècle ; en 1609 Galilée apprend l’existence du télescope hollandais, qu’il réinvente, publiant l’année suivante Sidereus nuncius, « le messager des étoiles ».

100Dict. critique de théologie, 1998, 964a.

101Entrée  “~529 Damascius”.

102Pseudo-Denys, Œuvres complètes…  trad.  Gandillac, Aubier, [1943], 1980. [Noms divins : 701C-708A sur le bien, le beau, l’intériorité, 712C-713D sur l’amour, 872A-873A sur l’inconnaissance. Hiérarchie céleste : 165A-168A]; DS 3.244/429; J. Krynen [v. sa thèse, disponible aux Archives Saint-Sulpice, annotée par Orcibal]; R. Roques, L’univers dionysien, 1983; etc.

103Œuvres…, op.cit., “Les noms divins” 101 et 102, [704 A et 705 A].

104Attracteur : dans une représentation géométrique du monde matériel, le centre de révolution caché qui détermine les frontières au sein desquelles sont canalisés certains phénomènes dynamiques, tels que des trajectoires fermées qui, considérées  individuellement, sont chaotiques (dont les révolutions ne répètent jamais le même parcours).

105Ibid., 104 [708A-B].

106Ibid., “La hiérarchie céleste”, 198 [168 A].

107L’analogie optique d’Amoli (?-1385) utilisant les moyens connus à son époque (optique “par réflexion”) est explicitée par H. Corbin, Le paradoxe du monothéisme, L’Herne, 1981, “Livre de Poche”, 1992, 27 sq. Elle permet “d’intégrer et de différencier”, de voir à la fois la flamme unique divine (centrale) et les multiples miroirs (ces derniers seuls perçus par la plupart des hommes malgré l’Image unique qu’ils reflètent).

108Correspondance I, Paris, Champion, 2003, lettre à Fénelon n° 201, novembre 1689, 423. Ces “miroirs pénétrés” sont des lentilles dont les propriétés optiques furent découvertes au début du XVIIsiècle; en 1609 Galilée apprend l’existence du télescope hollandais, qu’il réinvente, publiant l’année suivante Sidereus nuncius, “le messager des étoiles”.

109Bréhier, Histoire de la Philosophie, op.cit., 433 (rééd. 2004).

110Damascius, Des premiers principes, trad. Galpérine [en un volume!], Verdier, 1987, p. 31 résumant la p. 170 :

«  Est-ce donc que l’indicible, à la vérité, entoure tout le discible à la ma nièred’une couronne, le dépassant en haut, étant en bas l’ssise de tout ? … il n’y a rien de lui qui soit premier ni dernier, car en lui il n’y a pas non plus de procession… »

111Ibid., 222. Galpérine réfère à Plotin, Ennéades, V, 3, 8, où nous relevons : “Cette lumière éclaire l’âme de ses rayons… la faisant semblable à elle-même…” (trad. Bréhier).

112Le Coran, Traduction par Yaya Alawi et Javad Hadidi, Centre pour la traduction du Saint Coran, Qom, 2000.

La difficultés de traduire/adapter débute dès le premier terme de la prière introduisant le texte sacré ! Pour nos traducteurs, « Grâce au nom de Dieu » lève l’ambiguité liée à la traditionnelle ouverture « Au nom de Dieu » reprise des premiers traducteurs européens. Car il faut lever l’ambiguité : il ne s’agit pas de s’exprimer ou d’agir « de la part de Dieu » , « par délégation », comme peuvent le faire des « vicaires du Christ » dans les Eglises chrétiennes. Les intermédiaires n’existent pas en Islam.

Alawi et Hadidi reconnaissent la traduction de Blachère comme un « modèle de rigueur grammaticale et logique … [qui] constitue un tournant dans l’histoire des traductions du Coran en français. » (pp. 14-15). Régis Blachère (Le Coran, Maisonneuve et Larose, 1956, rééd. 2005) distingue par ses titrages ajoutés [entre crochets] les diverses « blocs de sens » au sein d’une même sourate, suggère une séquence d’élaboration des parties, souligne en italiques des apports tardifs… Ces aides ne sont peut-être pas acceptables par tous mais me semblent indispensables pour aborder l’ensemble avec fruit. Une lecture lente et fractionnée de ce qui n’a jamais été conçu comme un texte suivi (d’où le classement arbitraire à nos yeux des sourates par longueurs décroissantes) s’impose, comme souligné précédemment pour un sutra.

Al-Sîra ou la « chronique de la vie du Prophète » par Ibn Ishaq est le complément nécessaire accessible (traduction intégrale A. Guillaume, Oxford, 1955, ou choix Mahmoud Hussein, Grasset, 2005).

Coran & Al-Sîra ou « Dits & Vie » remplacent bien des lectures inutiles.


113Trad. D. Masson. ; Nelly et Laroussi Amri, Les femmes soufies ou la passion de Dieu, Dangles 45800 St-Jean-de-Braye, 1992, 23, Qur’ân II, 136

114Trad. D. Masson citée par Lilian Silburn dans “Accès au Sans-accès”, Les Voies de la mystique, Hermès, 1981, 44.

115Fa-Hai, Manifeste de l’Eveil, Le Soûtra de l’Estrade de Houei-neng, traduit du chinois et commenté par Patrick Carré, Seuil, 1995, réédition 2011.

Traduction plus récente : Hui neng, Le soutra de l’estrade du don de la loi, Trad. du chinois par Françoise Morel, Edition bilingue, Hors collection, La Table Ronde, 2001, accompagnée des « textes essentiels du canon bouddhique indien » .

J’utilise Patrick Carré en indiquant les numéros de sections ou chapitres (« 3. » etc.) et/ou les (pages). Je cite l’ « Avant propos », page 9, et accompagne en note d’une explication éclairant le mot « Estrade » :

[Commentaire du titre « Soûtra de l’Estrade », P. Carré, p.116 :]

De quel don [Estrade = tan = don, selon l’interprétation proposée par P. C.] alors, peut-il bien s'agir ? « De la forme supérieure de la générosité, le don de la Méthode, ou du Dharma (ssk., dharmadâna; chin., fa-che), les deux autres dons de la générosité transcendante, première des six vertus transcendantes (pâramitâ, po-lo-mi) des Bodhisattvas, consistant à procurer toutes espèces de biens — argent, objets — à ceux qui en ont besoin et à garantir l'absence de peur à tous les êtres vivants. »

116commentaire de P. C., p.132.

117[commentaire de P. C., p.133 :] « Cette essence, notre nature de Bouddha, Houei-neng l'a vue en entendant le [Soûtra du] Diamant et la voit encore lorsqu'il proclame la non-différence ultime du macaque et de l'abbé. »

118[commentaire de P. Carré, p.147/8, que je cite pour le beau poème de Ting Fou-pao :]

« La bouddhéité est toujours immaculée », la poussière — le voile des passions — lui est « extérieure » : la bouddhéité, qui est l'essence de l'homme et la nature ultime de toutes choses, transcende l'être, le non-être et le devenir, alors que l'ignorance, la haine et les autres passions, sous l'apparence de l'être et du devenir, se ramènent au non-être, au néant qui ne saurait décider de quoi que ce soit. « « Tout est pur » est une manière positive de dire que « tout est vide », insubstantiel, dépourvu d'être en soi, irréel.

« D'ailleurs, toutes les versions postérieures à notre manuscrit du Soûtra de l'Estrade ont adopté la leçon du vide plutôt que de la pureté — le célèbre pen-lai wou yi wou, « au fond, rien n'existe », que Ting Fou-pao commente avec inspiration en ces termes :

[Notre essence] se dresse solitaire, sans appui,

Consciente et vive infiniment :

C'est un oiseau qui fonce dans l'espace

Sans jamais s'y fixer,

Un poisson qui file dans l'eau

Sans jamais s'y figer.

Dès son origine rien ne peut la bloquer. »

[fin de note]

119[Suite du long commentaire de P.Carré sur la stance, p.151:]

« La chose a été réfutée jusqu'à n'être plus, mais comment réfuterez-vous le non-être laissé par cette réfutation ? En le réfutant, vous retombez dans l'être, puisqu'en niant le non-être vous affirmez l'être, puisque l'in-substantialité est l'antidote suprême, et pour d'autres raisons semblables.

« Il est temporairement nécessaire de prouver le non-être et de s'y habituer, lorsqu'on songe à cette fixation sur l' être qui dure depuis la nuit des temps. En effet, si l'on ignore que les choses n'ont pas d'être en soi, on n'aura jamais la certitude que, dans leur état naturel, elles sont libres de tous les extrêmes .

« Il demeure toutefois que ce simple non-être n'est pas l'ultime état naturel des choses. Lorsque l'examen et l'analyse aboutissent à l'impossibilité d'observer que la chose examinée est, conventionnellement, née par elle-même, etc., lorsque « rien, les formes ni aucune autre chose, n'existe », l'irréalité de la chose n'a plus le support de la chose, elle est irréelle aussi, et, en conséquence, elle ne peut plus se présenter à l'esprit comme l'objet de quelque réification que ce soit, tout comme on ne peut se représenter la mort du fils d'une femme stérile, lequel n'est jamais venu au monde. Voilà pourquoi le non-être ne peut être posé qu'à partir de l'être : jamais il n'a existé dans l'absolu et par essence. »

12066 Enfin je compare à la traduction à la fois élégante et précise de Françoise Morel, Soutra de l’Estrade du don de la loi, op.cit. :

Il n’y a pas d’arbre de la Bodhi

De clair miroir, pas plus.

La nature de Bouddha est toujours vide et pure

Comment, où, y aurait-il une quelconque poussière ?

121François Cheng, L’écriture poétique chinoise», Seuil, 1977, 32; Wang Wei, Paysages : Miroirs du cœur, trad. par Wei -penn Chang et Lucien Drivod, Gallimard, 1990; Les saisons bleues, l’œuvre de Wang Wei poète et peintre, par Patrick Carré, Phébus, 1989.

122Li po l’Immortel banni, buvant seul sous la lune, poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet, Moundarren, Millemont 78940.

D’autres volumes publiés par Moundarren et consacrés aux poètes de Chine ont le grand mérite d’être «bilingues» ce qui permet de «perdre son temps» et de «rêver» en remontant de caractère en caractère au français (Dictionnaire français de la langue chinoise préparé par l’Institut Ricci, 1990 … aidé de la «Liste des caractères difficiles à trouver»).

Aussi : Paul Demiéville, Anthologie de la poésie chinoise classique, Gallimard, 1962.

123Robert Beulay, L’enseignement spirituel de Jean de Dalyatha, mystique syro-oriental du VIIIe siècle, Beauchesne, 1990. Citation : 406.

124Rolf A. Stein, La Civilisation Tibétaine, 1996.

125Evans-Wentz, Jung, etc., marqués par des «prismes déformants théosophiques, hindouisants ou psychologiques» (note du traducteur cité ci-dessous, 962).

126Padmasambhava, Le Livre des Morts Tibétain, La Grande Libération par l’écoute dans les états intermédiaires, Bardo Thödröl Chenmo, traduit et commenté par Philippe Cornu,  Buchet/Chastel, 2009.

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